Petit rappel imagé du principe de dérive génétique et d'effet fondateur
Le titre du présent article est bien évidemment dérivé du titre d’un article de l’anthropologue John Hawks. L’article de ce dernier m’avait au moins autant surpris qu’il avait surpris le biochimiste Laurence A. Moran. Et pour cause dans l’article John Hawks tiens des propos pour le moins surprenant pour un anthropologue spécialisé en évolution humaine et en génétique des populations. Mais avant d’entrer dans le vif du sujet que les choses soient clair, je ne prétends pas que John Hawks ignore la complexité d’un domaine pour lequel il est un spécialiste et je ne prétends donc pas qu’il est incompétent ou pire encore malhonnête. Bien au contraire John Hawks est tout le contraire. Certes comme tout scientifique il est partial, c’est-à-dire ici privilégié son hypothèse plutôt que d’autres, mais quoi de plus normal c’est le cas de tous les chercheurs aussi pas de quoi attaquer la crédibilité de John Hawks loin de là!
Dans cet article John Hawks mentionne une étude consacrée au cas d’une mutation génétique et plus exactement une délétion, responsable d’une grave déficience cardiovasculaire. [1] Cette délétion n’est cependant présente que dans une région spécifique du monde, à savoir la péninsule indienne où sa fréquence varie aux alentours des 4% un peu plus ou un peu moins en fonction des régions.
Les auteurs de l’étude en question soulignent que cette mutation délétère est probablement apparue aux alentour d’il y a -30'000 ans et s’est ensuite répandue dans la péninsule indienne par simple dérive génétique. Et c’est ce dernier point qui fait grincer les dents de John Hawks car pour ce dernier cette mutation délétère n’aurait pas pu atteindre une pareille fréquence dans la région en si peu de temps!
Les auteurs de l’étude précédemment mentionnées, souligne que cette mutation délétère est probablement apparu aux alentour d’il y a -30'000 ans et s’est ensuite répandu dans la péninsule indienne par simple dérive génétique pour atteindre les fréquences que montre la carte ci-dessus. [1]
En effet pour John Hawks l’idée que cette délétion ait pu se répandre par simple dérive génétique ne tient pas, car il estime que la mutation serait apparu dans une population de 100'000 individus et que ces 100'000 individus représenteraient la « population effective » (c’est-à-dire que les individus de cette population se reproduiraient librement les uns des autres sans barrière géographique, culturelle ou autre) donc une population de 100'000 individus qui ne se subdiviseraient donc pas réellement en plusieurs sous populations! Or bien sûr en posant les choses ainsi John Hawks montre qu’il est extrêmement improbable qu’une copie unique atteigne la fréquence moyenne de 4% au sein de la population indienne en seulement 30'000 ans! Et que donc la délétion en question a forcément dû être positivement sélectionnée (ou éventuellement «liée» à un allèle positivement sélectionné), d’une manière ou d’une autre et donc exit la dérive génétique, la sélection naturelle doit être à l’origine de cette malheureuse délétion!
Or comme l’a noté le biochimiste Laurence A. Moran John Hawks omet ici la complexité des fluctuations démographiques et cela même s’il en a conscience. Car même en prenant une population de 100'000 habitants pour la péninsule Indienne, il va de soi que ces 100'000 individus étaient divisé en plusieurs sous-populations, avec parfois un fort dégrée de consanguinité et donc possiblement la fixation de cette mutation dans certaines des sous-populations en question. Dès lors la probabilité de voir cette mutation s’être répandu par simple dérive génétique, n’a plus rien d’extraordinaire. Mais c’est-là que John Hawks s’adonne à nouveau à une étrange remarque en affirmant que même si la mutation s’était répandu à haute fréquence chez certaines populations, celle-ci n’aurait guère pu se répandre dans l’ensemble de la région (péninsule) par simple dérive génétique.
Mais c’est alors que le dénommé Chris Nedin rappelle à John Hawks ce qui aurait pourtant dû être une évidence pour ce dernier, à savoir que la mutation aurait bien pu se répandre d’une population à l’autre dans la péninsule indienne, à partir du moment qu’il existe des échanges même limités d’une population à l’autre. Chris Nedin ironisant même sur le simplisme voir même la paresse intellectuelle que représente l’invocation d’explications adaptationnistes ad hoc (les fameuses «Just-so-stories»). À cela j’ajouterais que la population dans laquelle une mutation atteint une forte fréquence par simple dérive génétique, peut ensuite connaître une très forte expansion pour de nombreuses raisons (culturelles, sociales, économiques et militaires) et donc diffuser certains de ces allèles de manière importante à d’autres populations. D’ailleurs combien de descendants a eu Gengis Khan?
À ce titre John Hawks semble également avoir ignoré le fait que Larry Moran avait déjà enfoncé le clou dans son article, en rappelant comment une mutation sans aucune valeur sélective voir même faiblement délétère, peut rapidement augmenter en fréquence en quelque 200 ans seulement. L’exemple de Laurence A. Moran étant celui d’un allèle particulier favorisant l’apparition de la Maladie de Huntington, une maladie dégénérative apparaissant également en moyenne entre 40 et 50 ans et dont l’allèle mentionné ici échappe donc en bonne partie à la sélection naturelle car ne se manifestant qu’après que les individus aient pu se reproduire (au-delà de 30 ans). Et donc malgré le caractère délétère de cet l’allèle celui-ci est aujourd’hui portée par 18'000 individus dans la région du Lac Maracaibo au Venezuela (je sais c’est impressionnant mais donc néanmoins tout à fait possible). Or cet allèle s’est répandu dans cette région via une femme unique ayant vécu il y environ 200 ans. Bien qu’en réalité l’origine et la dispersion de cette maladie est un peu plus complexe mais donc il semble tout du moins bel et bien que 96% des personnes affectées dans la région ait hérité de cet allèle via cet ancêtre commun récent! [2]
Les porteurs de l'allèle responsable de la Maladie de Huntington, précédemment mentionné, sont concentré dans la région du Lac Maracaibo bien visible en haut à gauche sur la présente carte.
J’ignore quelle était la population du Venezuela au cours de ces 200 dernières années mais je ne pense pas qu’elle se réduisait à quelque centaines d’individus seulement cela n’ayant donc cependant pas empêché la mise en place d’un important «Effet Fondateur» dans une région spécifique du Venezuela. Car cette mutation a pu se répandre de manière assez simple probablement via une conjonction de facteurs sociaux, culturels et/ou économiques, au sein d’une région particulière où il y avait peut-être une certaine consanguinité lié à un relatif isolement social, culturel et/ou géographique des habitants. Dans tous les cas invoquer ici la sélection naturelle paraît difficilement tenable rien n’indiquant que cette mutation ait un impact positif sur le taux de reproduction. L’exemple de Laurence A. Moran illustre comment une mutation même délétère peut augmenter rapidement en fréquence dans des conditions particulières l’évolution démographique humaine étant souvent irrégulière et dans tous les cas très complexes. Aussi vous l’avez compris John Hawks utilise des modèles certes utiles et pertinents mais il omet ici leur limite car se heurtant à une réalité complexe ne se laissant pas capturer par les modèles probabilistes en question.
Cet étrange parti pris en faveur de la sélection naturelle de la part de John Hawks peut surprendre mais elle est à mettre directement en lien avec la célèbre étude qu’il avait publié en 2007, étude qui stipulait que l’évolution adaptative de notre espèce, se serait énormément accélérée durant les 40'000 dernières années! [3] Cette hypothèse a été reprise en grande pompe dans les médias, car l’idée que notre espèce non seulement évoluerait toujours (comme si notre évolution pouvait être stoppée) mais en plus extrêmement vite, éveille vite certains fantasmes!
Mais hormis les assertions fantaisistes, voir même parfois les bêtises qu’ont hélas inspiré chez certains, l’étude de John Hawks et al, le problème est que les conclusions de celle-ci ne sont de loin pas admises par l’ensemble des spécialistes. Par exemple les auteurs d’une étude autrement plus détaillée sur les probables «signaux génétiques» trahissant des événements sélectifs passées, se montrent très sceptiques vis-à-vis des assertions de John Hawks et al.
«This suggests that distinguishing true cases of selection from the tails of the neutral distribution may be more difficult than sometimes assumed, and raises the possibility that many loci identified as being under selection in genome scans of this kind may be false positives. Reports of ubiquitous strong (s = 1 - 5%) positive selection in the human genome (Hawks et al 2007) may be considerably overstated.» Joseph K. Pickrell et al (2009) [4]
Cela n’a d’ailleurs pas plu du tout à John Hawks. Mais donc le problème subsiste, car comme déjà mentionné les modèles qu’emploient John Hawks et al ne prennent de loin pas en compte toute la complexité de la dynamique démographique et migratoire qui a dû caractériser les populations humaines durant les 40'000 dernières années. Dès lors même si selon les modèles de John Hawks et al bon nombre des «Déséquilibres de Liaisons» seraient compatibles avec des événements sélectifs importants et récent et non pas par de simples cas de dérive génétique, on peut se montrer hautement sceptiques. Car ces modèles ignorent très probablement de nombreux «événements démographiques» pouvant potentiellement rendre les conclusions faites à partir des dits modèles, en grande partie erronées! Pour autant je n’enterre pas définitivement l’hypothèse de John Hawks et al mais donc je rejoins totalement la position de Joseph K. Pickrell et al (2009) ainsi que Laurence A. Moran, selon laquelle la dite hypothèse stipule quelque chose de probablement fortement exagérée.
Qu'on se rassure malgré leurs désaccords Laurence A. Moran (à gauche) et John Hawks (à droite) font toujours preuve d'une entente cordiale!
Et donc que retenir de tout cela ? Simplement qu’il faut se méfier des conclusions hâtives! Et dans ce cas-ci j’ajouterai simplement que John Hawks est simplement partial dans le sens qu’il privilégie la «sélection naturelle» sur l’évolution neutre via notamment la dérive génétique. Et vous l’avez compris Laurence A. Moran comme beaucoup d’autres (dont ma petite personne) privilégient plutôt l’évolution neutre! À ce titre il semble bel et bien que la majeure partie de la «divergence génétiques» entre les populations humaines actuelle soit le fruit de l’évolution neutre. [5] Même si donc John Hawks continue de soutenir que cela serait compatible avec sa théorie tandis que d'autres tels que Dienekes ou Daniel MacArthur y voient potentiellement un problème pour la dite théorie. Car voilà encore une fois je le précise, le but du présent billet n’est pas de dire «John Hawks se plante complètement» mais simplement comme l’avait déjà soulevé Laurence A. Moran, que l’hypothèse de John Hawks et al est bel et bien une hypothèse qui n’est pas prouvée, peut-être le sera-t-elle un jour mais peut-être ne le sera-t-elle jamais (et donc je m’abstiens de tout pari là-dessus)! Dès lors vous l’avez tous compris je pense qu’il faut toujours prendre avec des pincettes certaines hypothèses et cela même si elles sont le fait de scientifiques honnêtes, compétents et ayant eu raison sur d’autres points.
Addendum:
Vous noterez que dans le présent message je ne suis pas revenu sur certains détails, notamment sur ce en quoi consisterait concrètement la très forte évolution adaptative qui aurait récemment affecté les populations humaines. John Hawks et al ne donnent que bien peu d’exemples, certes ils mentionnent la pigmentation, la capacité de digéré le lactose à l’âge adulte et la résistance à certaines maladies, le truc étant que personne ne nie l'existence d'adaptations durant l'histoire évolutive récente de notre espèce. Mais donc les exemples précédemment mentionnés même si très intéressants, ne constituent pas en eux-mêmes une démonstration de la thèse défendue par John Hawks et al. Je ne mentionne même pas certaines hypothèses particulièrement grotesques qu'ont formulé certains des collègues de John Hawks et qui ont déjà été décortiquées et réfutées par d'autres.
Références:
[1] Perundurai S Dhandapany et al (2009), A common MYBPC3 (cardiac myosin binding protein C) variant associated with cardiomyopathies in South Asia, Nature Genetics
[2] Irene Paradisi, Alba Hernández and Sergio Arias (2008), Huntington disease mutation in Venezuela: age of onset, haplotype analyses and geographic aggregation, Journal of Human Genetics
[3] John Hawks et al (2007), Recent acceleration of human adaptive evolution, Proceedings of the National Academy of Sciences
[4] Joseph K. Pickrell et al (2009), Signals of recent positive selection in a worldwide sample of human populations, Genome Research
[5] T. Hofer, N. Ray, D. Wegmann and L. Excoffier (2009), Large Allele Frequency Differences between Human Continental Groups are more Likely to have Occurred by Drift During range Expansions than by Selection, Annals of Human Genetics
Intéressant, décidément de voir le pouvoir de la dérive génétique!Merci pour l'article.
RépondreSupprimerDe rien merci pour ton commentaire! ;-)
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