Crâne du petit dernier découvert sur le site de Dmanisi. [1]
Récemment la découverte d’un nouveau crâne sur le célèbre site de Dmanisi en Géorgie a mis un saint coup de pied à l’arrière train de certains paléoanthropologues ayant la sale manie de nommer une nouvelle espèce d’Hominidé à chaque fois qu’ils découvrent un nouveau fossile. Ce fut d’ailleurs parfois le cas avec les premiers fossiles de Dmanisi souvent nommés Homo georgicus c’est-à-dire en usant d’une nomenclature habituellement réservée à une espèce à-part-entière. Or bien évidemment même si les divers représentant fossiles du genre Homo diffèrent de manière plus ou moins sensible rien ne permet d’affirmer qu’ils n’étaient pas interféconds. Rien ne permet souvent d’exclure le fait qu’ils aient pu être les simples «variations régionales» d’une seule et même espèce.
Exemple de construction phylogénétique de différents fossiles de représentants du genre Homo. Cette inférence phylogénétique basée sur les caractères morphologiques des dits fossiles n'est pas dénoué de tout fondement, mais hélas elle demeure hautement spéculative et incertaine car ayant des bases extrêmement fragiles lié à un faible échantillonnage et une ignorance des variations intra-spécifique et même intra-populationnelles. Car certains des représentants fossiles du genre Homo représentés ici pourraient appartenir à une seule et même espèce et avoir été reliés par de nombreux flux de gènes ce qui rendrait le présent arbre phylogénétique inexact et obsolète!
Plus généralement nous ignorons également les liens et distances de parentés entre les différents spécimens fossiles retrouvés et les hypothétiques populations auxquelles appartenaient ces derniers. Heureusement certains paléoanthropologues en sont parfaitement conscients et ne tombent pas de le travers consistant à nommer une nouvelle espèce à chaque nouveau fossile d’Hominidé trouvé. Ainsi je me souviens avoir lu une interview du paléoanthropologue Fred Spoor datant de 2007, dans laquelle il identifiait déjà les fossiles de Dmanisi comme étant ceux d’une simple variante régional d’Homo erectus et précisant que selon lui les variantes africaines d’Homo erectus souvent appelées Homo ergaster appartenaient probablement à la même espèce que celle des différents Homo erectus asiatiques, Homme de Dmanisi compris.
Reconstitution numérique de cinq crânes issus du même site de Dmanisi, on remarque que ceux-ci diffèrent de manière importante les uns des autres. Le petit dernier découvert (tout à droite) aurait été classé comme étant une espèce distincte s’il avait trouvé dans une autre région notamment dans un autre continent.
Gare aux conclusions hâtives
Or le petit dernier découvert à Dmanisi dans des strates estimés aux alentours de -1.8 millions d'années, pousse le bouchon encore plus loin, ce fossile rappelant que les représentants humains issu d’une même espèce (et non pas forcément des «variation régionales» très éloignés géographiquement) peuvent avoir d’importantes variations phénotypiques. [1] De plus sa petite capacité crânienne rapproche pas mal le petit dernier d’Homo habilis suggérant carrément selon certains que les fossiles d’Homo habilis devraient eux-aussi être ranger dans la même espèce ou la même lignée qu’Homo erectus. Ce qui est possible. Malheureusement cela semble pousser les auteurs de la publication de la revue «Science» décrivant le fossile, à un léger raccourci. En effet ils suggèrent que les premiers représentant du genre Homo ne formerait qu’une seule et même lignée humaine! Quand j'ai lu ceci j'ai instictivement pensée à cela:
Or bien sûr cela est faux! Et heureusement les auteurs de la publication
en question ne souscrivent pas à une vision aussi caricaturale et
simpliste de l'évolution de la lignée Humaine. Le truc c'est que par
«lignée» les auteurs semblent entendre «espèce», c'est-à-dire ici un
ensembles de différentes populations interfécondes fussent-elle
phylo-géographiquement passablement éloignée les unes des autres. Or
bien évidemment le terme «lignée» ne renvoie en réalité à aucune
subdivision précise pas plus que le terme «population». Ainsi deux
familles issues d’un même village peuvent être considérées comme deux
lignées distinctes. Mais personnellement dans le cadre d'une discussion
sur l'évolution humaine, par «lignées» j’entendrais plutôt deux ou
plusieurs populations humaines séparées par plusieurs dizaines ou même
centaines de milliers d’années d’évolution avec ce que ça comporte comme
divergences génétiques et probables divergences phénotypiques malgré
l'interfécondité des populations en question. Et la découverte de ce
nouveau fossile ne permet en rien de stipuler qu’une seule lignée
humaine existait à l’époque selon cette dernière définition et cela
quand bien même les différentes lignées étaient probablement
interfécondes. Et donc rien ne permet d'affirmer que certaines de ces
lignées n'aient pas disparues sans laisser de descendance. À
ce titre je renvoie les lecteurs intéressés au très intéressant et tout
aussi excellent billet du paléoanthropologue John Hawks à ce sujet!
Vous remarquerez que même en partant du principe réaliste et probable
voulant que toutes les populations du genre Homo aient été
interfécondes, rien ne permet d'affirmer que nous pouvons résumer le
début de l'évolution du genre Humain à une seule lignée (si l'on a en tête la définition du mot «lignée» que j'ai donné ci-dessus). Et encore moins
affirmer comme le rapportent certains médias, que notre évolution serait plus simple que ce que l'on pensait jusqu'alors, encore une fois voir cet excellent article de John Hawks pour faire la part des choses!
Une nécessaire prudence
De plus la prudence que nous devons avoir face à cette nouvelle découverte est de mise car certes il est tout à fait possible et même probable que les fossiles de Dmanisi appartiennent à la même espèce ou mieux encore à une seule et à une même lignée humaine. Mais il est également possible qu’ils appartiennent à des représentants d’au moins deux populations humaines déjà passablement divergentes l’une de l’autre. Après tout à titre de comparaison Neandertal et Homo sapiens ont probablement partagé les mêmes territoires en Europe et au Moyen-Orient par le passé. Et même s’ils étaient probablement interféconds ils représentaient deux populations humaines qui avaient déjà passablement divergé l’une de l’autre par le passé. Aussi rien ne nous permet d’exclure que nous avons sur le même site, des représentant du genre Homo appartenant à des lignées bien distinctes séparées par plusieurs centaines de milliers d’évolution.
À gauche crâne d'Homme Anatomiquement Moderne à droit crâne de Néandertalien. Les Hommes anatomiquement modernes se sont probablement métissés dans une certaine mesure avec les Néandertaliens, l’ADN de ces derniers se baladant très probablement toujours au sein des populations humaines actuelles. [2] Pour autant nous pouvons malgré tout considérer Sapiens et Neandertal comme deux lignées différentes et cela même si ces deux lignées ne se sont pas formellement séparées l’une de l’autre (avec peut-être de grosses surprises quant au relations phylogéographiques des différentes sous-populations de Neandertal et de Sapiens de l’époque). Cela a pu être le cas pour les représentants antérieurs du genre Homo tels que Homo habilis et Homo erectus.
Ainsi que les fossiles de Dmanisi appartenaient au non à une seule et même lignée et/ou population humaine, l'évolution du genre humain fut probablement complexe avec des populations se déplaçant, divergeant génétiquement, se retrouvant, entrant en compétition les unes aux autres, certaines en remplaçant d'autres tout en se mélangeant avec elles dans une certaine mesure et ainsi de suite. Un peu comme ce que soupçonnent les scientifiques avec les Hommes Anatomiquement Modernes et Neandertal.
Le Boxeur Russe Nikolay Valuev demeure un excellent rappel quant à la variabilité morphologique importante que l’on peut trouver au sein d’une seule et même population humaine!
Mais donc une fois ces dernières mises au point faites, les fossiles de Dmanisi nous rappellent que les membres d’une même population et donc d’une même lignée peuvent différer de manière importante sur le plan morphologique. Cela rendant hautement spéculatives et incertaines certaines constructions phylogénétiques et taxonomiques faite à partir des quelques fossiles d'Hominidés dont nous disposons aujourd'hui!
Références:
[1] David Lordkipanidze et al (2013), A Complete Skull from Dmanisi, Georgia, and the Evolutionary Biology of Early Homo, Science
[2] Richard E. Green et al (2010), A Draft Sequence of the Neandertal Genome, Science
En effet, utiliser le raccourci d'une seule espèce présentant des changements encouragerait les thèses créationnistes.
RépondreSupprimerLa fusion des espèces différentes étant très controversées, d'autant qu'avec le temps, il est illusoire de procéder à un examen d' adn précis.
Il faudrait vraiment beaucoup plus de découvertes fossiles pour avoir des certitudes.
Pour le reste, il y a la croyance, que l'on soit scientifique ou pas. Le béotien aura son ressenti, le scientifique des recherches orientées, mais les deux auront toujours tendance à chercher dans le sens qu'ils aspirent.
Bonjour JPL désolé pour ma réponse tardive. Je ne suis pas sûr de ce que vous voulez dire par «Le raccourci d'une seule espèce présentant des changements encouragerait les thèses créationnistes.». Mais dans tous les cas vous avez raison sur le fait qu'il faut éviter toute conclusion hâtive pour le moment ainsi que pour l'impact que peuvent avoir les préconceptions des scientifiques dans leur manière d'interpréter le registre fossile!
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