jeudi 10 janvier 2013

Mais qui est donc Elysia chlorotica?

Elysia chlorotica

C’est étrange non? Sur les dizaines d’articles que compte mon blog pas un seul ne traite de cette mystérieuse Elysia chlorotica dont le présent blog arbore pourtant le nom! Mais qui est cette donc cette dame Elysia? Bon ok comme tout le monde sait se servir de Google vous le savez probablement déjà, Elysia chlorotica est une espèce de limace marine ayant la particularité de pratiquer la photosynthèse grâce à l’incorporation dans son organisme des chloroplastes des algues vertes dont elle se nourrit. Caractéristique qu’elle partage avec les autres limaces du genre Elysia. Mieux Aurélide du blog «Les poissons n’existent pas» a rédigé un article détaillant, vidéos à l’appui, la manière dont ces limaces volent les chloroplastes des algues vertes.



Vidéo montrant une limace du genre Elysia (Elysia viridis) absorbant les chloroplastes d’une algue verte du genre Bryopsis dont elle est ici en train de se nourrir. Merci à Aurélide ainsi qu'à toute l'équipe du blog «Les poissons n’existent pas» pour avoir filmé et mise en ligne cette vidéo!

Une limace capable de faire de la photosynthèse en incorporant les chloroplastes des plantes dont elle se nourrit génial n’est-il pas? Surtout lorsque l’on sait notamment que grâce à cela Elysia chlorotica peut survivre plusieurs mois sans se nourrir! [1] Mais si ce «système d’alimentation» est tellement ingénieux comment se fait-il qu’il n’y a pas davantage d’animaux qui l’aient opté au cours de leur évolution? La réponse à cette dernière question est dû au fait que les limaces du genre Elysia ont la capacité de maintenir les chloroplastes en vie (et donc fonctionnels) pendant des semaines voire même des mois! Ainsi parmis les différentes espèces de limaces ayant adopté ce
«système d’alimentation» la capacité à maintenir ces chloroplastes fonctionnel varie beaucoup, certaines ne parvenant à les maintenir en vie que deux semaines et d'autres plus de dix mois! [2] Mais dans tous les cas cette capacité à maintenir en état de marche des chloroplastes au sein de leur propre organisme n’est pas anodine puisque normalement les chloroplastes ne devraient pas survivre aussi longtemps en dehors des cellules végétales dont elles sont issues!

Pourquoi?

Pour le comprendre il faut savoir que les chloroplastes sont des organites qui, à l’instar des mitochondries, trouvent probablement leur origine évolutive dans une endosymbiose. Dit autrement les lointains ancêtres des chloroplastes étaient des organismes unicellulaires à part-entière (probablement des cynobactéries) qui ont été «avalées» et/ou «incorporées» dans des organismes cellulaires plus gros puis co-évoluèrent en tant qu’endosymbiotes pour finalement former les organites que nous connaissons aujourd’hui. Et c’est, entre autre, de cette relation endosymbiotique que sont très probablement nés les organismes végétaux se caractérisant notamment par la présence de chloroplastes.
 
Schéma simplifié de l’origine symbiotique des mitochondries et des chloroplastes. Ces organites étant les probables descendants de bactéries jadis autonomes mais qui ont donc été «incorporés» dans des organismes unicellulaires plus gros pour finalement formés les organites que nous connaissons aujourd’hui.

Mais donc au fil de leur très longue évolution en tant que symbiotes les chloroplastes ont perdu toute autonomie et ne peuvent que survivre à l’intérieure des dites cellules végétales, car diverses contraintes évolutives ont lié à jamais la cellule à son endosymbiote, la première ne pouvant survivre sans le second et vice et versa! Ainsi dans le cas des algues verte nommées Vaucheria litorea dont se nourrit Elysia chlorotica (une des représentes du genre Elysia précédemment mentionné) le bon fonctionnement des chloroplastes dépend notamment d’un gène nucléaire (donc situé dans le noyau de la cellule de la plante et non pas dans les chloroplastes) nommé psbO. Ce gène nucléaire nommé psbO est indispensable à la photosynthèse et donc à la survie des chloroplastes (et donc à la cellule végétale). Le gène psbO codant en effet une protéine à manganèse cruciale dans le photosystème. Or en étudiant de près Elysia chlorotica il apparait que cette dernière a de toute évidence incorporé le gène psbO à son propre patrimoine génétique!
[1] Et non cela ne tient pas du miracle les gènes peuvent passer d’une espèce multicellulaire à une autre espèce multicellulaire via divers mécanismes notamment possiblement via des rétrovirus. [3]

Schéma simplifié d’une cellule végétale. L’ADN nucléaire désigne celui du noyau de la cellule (nucleus sur le présent schéma). Les chloroplastes et les mitochondries (également représenté ici) ont leur propre ADN. Cependant dans le cas des chloroplastes de l’algue verte nommée Vaucheria litorea, environ 90% des protéine impliqué dans le bon fonctionnement des dits chloroplastes sont codés par des gènes qui ne sont pas présent chez ces derniers mais situés dans l’ADN nucléaire de la cellule végétale. Et donc les chloroplastes ne peuvent normalement pas survivre en dehors d’une cellule végétale à l’exception notable d’Elysia chlorotica (et probablement chez d’autres espèces de limaces du genre Elysia, qui a incorporé dans son propre génome les gènes de l’algue vertes indispensables au bon fonctionnement des chloroplastes.

Ce qui reste cependant encore à élucider c'est de savoir dans quelle partie du génome d'Elysia chlorotica le gène psbO se trouve. Les chercheurs avaient initialement pensée que le gène psbO s’était probablement intégré à l’ADN mitochondrial de la limace mais après analyse pas de trace visible d’ADN végétale dans les mitochondries les chercheurs ayant donc pu déduire que le gène psbO a donc très probablement été incorporé quelque part dans l’ADN nucléaire de la limace. Mieux d’autres gènes nucléaires de l’algue verte Vaucheria litorea ont pu être détectés chez Elysia chlorotica,
des gènes aux noms pompeux tels que fcp et lhcv1, également impliqués dans la photosynthèse. Ces gènes ont donc également été incorporés dans le patrimoine génétique de notre chère Elysia chlorotica! [3] Et ce n’est pas une surprise sachant qu'environ 90% des protéines indispensables au bon fonctionnement de la photosynthèse de Vaucheria litorea, sont codées par des gènes situées dans le génome de Vaucheria litorea! [1] Cela voulant dire que Elysia chlorotica a dû «voler» de nombreux gènes de l’algue verte dont elle se nourrit! Et qu’en est-il des autres limaces du genre Elysia volant elles aussi les chloroplastes de leurs proies? Il est probable que la réponse soit la même que pour Elysia chlorotica!

À l’instar des endosymbioses précédemment mentionnés les transferts horizontaux de gènes auraient également une très grande importance dans l’évolution des êtres vivants. L’importance serait telle que certains parlent même de «Toile de la Vie» («Web of Life» en anglais) pour illustrer le fait que les branches de l’Arbre de la Vie peuvent donc à nouveau se rejoindre et aboutir à de véritables chimères. Cependant qu’on se rassure les endosymbioses et transferts horizontaux de gènes concernent avant tous les organismes unicellulaires, pour des organismes comme les animaux le concept «d’Arbre de la Vie» reste opérationnel même si donc il arrive également que des transferts horizontaux de gènes aient lieu comme nous le rappelle justement Elysia chlorotica.

Conclusion

Et donc voilà Elysia chlorotica ne se contente pas de voler les chloroplastes des algues vertes, elle leur a même volé tous les gènes nécessaires pour pouvoir profiter comme il se doit des dits chloroplastes! Mais donc en incorporant des gènes végétaux à son propre génome Elysia chlorotica peut donc être considérée comme une chimère et nous éclaire sur l’importance que peut revêtir les transfert horizontaux de gènes dans l’évolution, évolution qui nous apparaît comme encore plus complexe et fascinante que ce qu'on pensait déjà!

Références:

[1] Mary E. Rumpho et al (2008), Horizontal gene transfer of the algal nuclear gene psbO to the photosynthetic sea slug Elysia chlorotica, Proceedings of the National Academy of Sciences

[2] Jussi Evertsen et al (2007), Retention of functional chloroplasts in some sacoglossans from the Indo-Pacific and Mediterranean, Marine Biology

[3] Sydney K. Pierce et al (2007), Transfer, integration and expression of functional nuclear genes between multicellular species, Symbiosis

4 commentaires:

  1. Article très intéressant ! Elysia est décidemment une voleuse hors pair.

    On en vient vite à se dire que finalement, si Elysia tire des bénéfices des chloroplastes et des gènes de Vaucheria, les gènes de Vaucheria doivent aussi bien se plaire chez Elysia… Alors, Elysia voleuse des chloroplastes de Vaucheria, ou les gènes de Vaucheria qui s’insinuent chez Elysia et lui empruntent son système de reproduction ? Je divague un peu mais… ça fait réfléchir ;)

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  2. Salut Sophie

    Eh oui on pourrait également s’adonner à une vision «géno-centrée» celle-ci serait donc également valable pour tous les cas de transferts horizontaux de gènes! ;-)

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  3. c'est étonnant un animal qui se prend pour une plante ! grâce à la photosynthèse elle fabrique des protéines comme les plantes c'est pour ça qu'elle n'a pas besoin de se nourrir pendant un certain temps ?
    CORDIALEMENT et félicitation pour votre blog je vais passer des nuits blanches à vous lire freddow

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  4. Bonjour Freddow

    Merci pour votre commentaire. Pour répondre brièvement à votre question la limace fabrique elle-même les protéines nécessaires au fonctionnement des chloroplastes qui eux-mêmes permettent la photosynthèse. Les chloroplaste étant les organites permettant aux algues vertes ainsi qu'à l'ensemble des végétaux de pratiquer la photosynthèse, la limace incorpore continuellement les chloroplaste dont elle se nourrit dans son propre organisme pour pratiquer elle-même la photosynthèse.

    Problème les chloroplastes ne peuvent normalement pas fonctionner en dehors de l'organisme d'un plante comme les algues vertes. Car ces dernières disposent de gènes codant des protéines assurant le bon fonctionnement des chloroplace. La limace Elysia chlorotica a cependant «résolu ce problème» en ayant inclus dans son propre génome les gènes codant les protéines en question. Ces gènes la limace les a pris aux algues vertes au court de son évolution via ce qu'on appelle des transferts horizontaux de gènes.

    En espérant avoir répondu à votre question et encore merci pour votre commentaire encourageant!

    Cordialement

    Hans

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