mercredi 24 juillet 2013

Vers une expansion hiérarchique de la Théorie de l'Évolution?


Stephen Jay Gould théoricien de l'expansion hiérarchique de la Théorie de l'Évolution

Étant en pleine rédaction de thèse je n'ai pratiquement plus de temps pour me consacrer à mon blog, par chance j'ai réussit à en trouver pour y balancer quelques réflexions suite à la lecture d'un très intéressant article du paléontologue Donald Prothero [1]. Dans cet article Donald Prothero revient sur l'influence scientifique du regretté Stephen Jay Gould dans le domaine de la paléontologie ainsi qu'en biologie de l'évolution en général. Donald Prothero mentionne notamment une des théories majeures, mais souvent omise de S.J. Gould, à savoir un découplage de la micro et de la macro-évolution et plus généralement une expansion hiérarchique de la théorie de l'évolution.

«The gradual adaptation of fruit flies and Galapagos finches may be good examples of short-term microevolutionary change, but they simply do not address what the fossil record has shown for over a century. This only became apparent when Gould, Eldredge, Stanley and others began to talk about species sorting, decoupling microevolution from macroevolution, and the importance of hierarchical thinking in evolutionary biology. Many neontologists appear to maintain a relentlessly reductionist attitude for no apparent reason. Meanwhile, the hierarchical expansion of evolutionary theory has enjoyed widespread support among philosophers as well as paleontologists (Salthe 1985; Eldredge 1985b; Okasha 2006; Wilson and Wilson 2007; Jablonski 2000, 2007, 2008a).» Donald Prothero [1]

Mais qu'est-ce donc que cette expansion hiérarchique de la théorie l'évolution? Il y aurait énormément à dire sur cette dernière mais pour résumé il s'agit notamment de l'idée voulant que la sélection naturelle opère à différent niveaux. Mais concrètement qu'est-ce qu'une sélection multi-niveaux? Eh bien pour le savoir il faut se souvenir que classiquement en biologie de l'évolution on considère que les individus sont les seules véritables «unités de sélection». Certes les personnes avisées en biologie de l'évolution ont entendu parler de la sélection de parentèle conceptualisé par le regretté William D. Hamilton ainsi que le gène égoïste de Richard Dawkins où ce sont les gènes qui ont le beau rôle comme «unité de sélection». Cependant avec sa théorie Stephen Jay Gould va bien plus loin en stipulant que la sélection pouvait avoir lieu à de multiples niveaux à savoir des gènes aux espèces en passant par les individus et les populations d'une même espèce. Et loin d'être séparés ces différentes niveaux de sélection s'emboiteraient joyeusement les uns dans les autres.

Petit rappel imagé concernant des notions de Micro-évolution et de Macro-évolution mentionnées plus haut, la première se référant à l'évolution au sein des espèces, la seconde au-delà du niveau de l'espèce. Bien évidemment il n'y a pas de limite nette dans cette dichotomie théorique surtout lorsque l'on sait que la barrière de l'espèce peut-être elle-même extrêmement floue dans la nature.

Mais donc qu'est-ce concrètement une sélection «au niveau de l'espèce»? Car certes on pense immédiatement à une espèce supplantant une autre dans une niche écologique donnée, mais donc pas besoin forcément d'invoquer une sélection au niveau de l'espèce (quoi qu'on entende exactement par-là) car cela peut simplement signifier que les individus d'une espèce sont mieux adaptés à la dite niche écologique que les individus de la seconde espèce, et donc c'est toujours l'individu qui est la véritable «unité de sélection» et non l'espèce, rien qui ne nécessite de se prendre la tête avec l'idée d'une sélection multi-niveaux. Et il faut dire que pendant longtemps j'avais moi-même du mal à savoir ce que Stephen Jay Gould entendait par-là! Mais qu'on se rassure il est possible de comprendre ce que SJ. Gould entendait par «sélection entre espèce» ou «sélection au niveau de l'espèce» en se référant à des exemples concrets.

Les tigres infanticides

C'est en regardant un reportage animalier comme il en existe tant, que j'ai me semble-t-il, en bonne parti compris ce que pouvait être concrètement et véritablement une sélection au niveau de l'espèce et en quoi cette idée et/ou notion pouvait être utile en biologie de l'évolution ainsi qu'en écologie. Ce reportage animalier concernait les tigres du sous-continent indien. De nombreuses populations de tigres sont menacées par les activité humaines et leurs expansions dans des lieux jusqu'alors relativement préservés. Or ce reportage relatait les observation d'une population de tigre dans une région donnée par une équipe de scientifiques s'inquiétant à juste titre, de la survie de la dite population. Or si les activité humaines sont déjà une menace pesante pour leur survie, les tigres sont victimes d'une autre menace dont les responsables sont.....les tigres eux-mêmes! En effet à chaque fois qu'une tigresse donnait naissance à des petits, les scientifiques s'alarmaient à juste titre du risque de voir les petits tigres tués par un mâle adulte. Les mâles tuant les bébés tigres qui ne sont pas les leurs afin que la femelle soit de nouveau disposée à s'accoupler. Ce comportement qui nous semble cruel est en réalité une «stratégie évolutive» des plus rationnelles du point de vue sélectif, car cela permet au mâle infanticide de maximiser sa valeur sélective! Problème ce qui est bon pour l'individu est ici désastreux pour la population de tigres dans son ensemble et peut-être même pour l'espèce toute entière, car dans le contexte d'une expansion humaine réduisant les territoires disponibles et la taille des populations de tigres, ce comportement infanticide risque fort de contribuer à l'extinction des populations en question!

Les bébés tigres ont beau être mignons un tigre mâle adulte n'hésiterait pas à les tuer froidement pour obtenir les faveurs sexuelles de leur mère.

Et maintenant imaginez une espèce de félin, ou même une population particulière de tigres, dont les mâles n'ont pas ces mœurs infanticides. Cette population de félins n'aurait-elle pas davantage de chance de survivre au réductions territoriales imposées par les activités humaines? Ces félins hypothétiques survivraient mieux que les tigres non pas parce qu'ils seraient mieux adaptés en tant qu'individus, mais bel et bien parce qu'ils seraient mieux adapté en tant qu'espèce! C'est-à-dire que les interactions entre individus, interactions ne comprenant pas l'infanticide d'une progéniture qui n'est pas sienne, ne pèse pas sur le renouvellement démographique de la population. Au niveau individuel un mâle de ce félin hypothétique est certes moins performant en terme de valeur sélective qu'un tigre mâle infanticide, mais au niveau collectif ce félin hypothétique est, en tant qu'espèce, plus apte à survivre dans le difficile contexte imposée par la civilisation humaine.

Cet exemple en partie hypothétique (uniquement en partie car ayant une base factuelle et logique), permet d'entrevoir de manière claire et concrète ce que Stephen Jay Gould entendait par sélection au niveau de l'espèce et mieux encore l'importance des propriétés émergentes dans la compréhension de l'évolution du vivant. Les populations et les espèces sont davantage que la somme des individus qui les constituent (c'est le principe même de l'émergence), les interactions entre ces derniers sont source de propriétés émergentes qui sont susceptibles d'être elles-mêmes sujettes à une sélection darwinienne. Dès lors la théorie de Stephen Jay Gould sur une sélection s'effectuant à différents niveaux (gènes => individus => populations => espèces) semble bel et bien avoir sa pertinence, les différents niveaux de sélection ne s'excluant pas mutuellement mais interagissent les uns avec les autres de manière complexe.

Gastéropodes marins et spéciations

L'autre aspect majeur de la théorie de SJ. Gould est que les propriétés émergentes de certaines espèces/clades, sont susceptibles d'affecter le «taux de spéciation», des espèces/clades concernés. SJ. Gould expose la chose de la manière suivante:

«Un trait attaché à la structure des populations conduisant à une faible fréquence d'isolement des nouveaux dèmes, doit nécessairement être considéré comme une caractéristique propre aux populations, si l'on se fie au sens normal des mots. [...] Les organismes ne donnent pas lieu individuellement à des spéciations; seules les populations le font: par conséquent, le caractère en question appartient bien à l'espèce.» Stephen Jay Gould [2]

Vous ne voyez pas ce que SJ. Gould veut dire par ces présents propos? Pas grave il illustre ces derniers en se référant à une publication d'Anthony J. Arnold et Kurt Fristrup (1982) [3] comparant deux clade de gastéropodes marins, l'un constitué d'espèces planctotrophes (dont les larves se nourrissent de planctons) et l'autre d'espèces non-planctotrophes (utilisant ses réserves vitellines pendant sa croissance). AJ. Arnold et K. Fristrup soulignant que les espèces non-planctotrophes sont davantage sujettes aux événements de spéciation car leur mode de reproduction impose des structures populationnelles davantage propices aux spéciations allopatriques que les espèces planctotrophes qui elle ont tendance à avoir une «population effective» plus importante et donc moins de spéciations allopatriques. Cette constatation est l'exemple même d'une propriété émergente au niveau de l'espèce car quelle que soit la valeur sélective des individus non-planctotrophes par-apport à celle des individus planctotrophes, ce n'est pas de cette valeur sélective individuelle que découle la plus grande fréquence des spéciations chez les premiers par-apport aux seconds. La raison se situe ici au niveau des populations et même des espèces et c'est cette particularité propre à l'espèce dans son ensemble qui sera sujette à une forme de sélection, à savoir ici la plus grande diversification des non-planctotrophes par-apport aux planctotrophes.

Rappel simplifié de quelques dynamiques/modes de spéciation. Les spéciations peuvent avoir différentes causes, l'une d'entre elle étant la manière dont les populations se subdivisent et/ou répartissent. Selon Anthony J. Arnold et Kurt Fristup (1982) [3] chez les gastéropodes marins, les espèces non-planctotrophes auraient en raison même de leur mode de reproduction des distributions populationnelles davantage propices aux spéciations que les gastéropodes marins planctotrophes.

Bien évidemment n'étant de loin pas la personne la mieux renseignée sur les stratégies de reproduction et l'évolution des gastéropodes, j'ignore si cet exemple particulier doit être nuancé et si oui dans quelle mesure. En revanche le fait que certaines espèces/taxons, ont des structures populationnelles davantage susceptibles de favoriser les événement de spéciations, n'a rien de surprenant et l'impact que cela pourrait avoir dans le succès évolutif des lignées a fort «taux de spéciation» par-apport à celles moins affectées par ce genre d'événements, mériterait qu'on s'y intéresse de près. D'ailleurs les paléontologues n'ont-ils pas déjà des informations susceptibles de donnée du poids à la théorie de SJ. Gould? Personnellement je l'ignore cependant si l'on en croit Donald Prothero, les théories de SJ. Gould aurait un assentiment assez répandu chez les paléontologues. Cependant si un des lecteurs du présent blog aurait davantage d'informations à ce sujet qu'il n'hésite pas à les communiquer.

Je termine donc ici cette brève description de la théorie soutenant la nécessité d'une expansion hiérarchique de la Théorie de l'Évolution et laisse le soin à tout à chacun de se faire son idée sur la question voir même de la nuancer et de la critiquer. Dans tous les cas il me semble (mais peut-être que je me plante complètement) que cet apport théorique de Stephen Jay Gould est souvent mal-compris et/ou ignoré ce qui serait dommage car elle demeure malgré sa possible inexactitude, une de ses contributions théoriques les plus intéressantes en biologie de l'évolution.

Addendum: Je suis en pleine échange avec une connaissance virtuelle câlée en biologie pas convaincue du tout par l'utilité et la réalité de l'apport théorique de Stephen Jay Gould discutée ici (et cela quand bien même la dite personne reconnait la pertinence de SJ. Gould sur d'autres sujets). Mes échanges avec cette personne étant en cours, je ne peux encore en faire une synthèse. Cependant celle-ci m'a déjà rappelé à jsute titre que le découplage «microévolution» et «macroévolution» a précédé SJ. Gould et fut apparemment le fait d'un entomologiste Russe nommé Iuri'i Filipchenko en 1927 déjà et cela apparemment dans le cadre d'une distinction d'une évolution à court terme (microévolution vue comme darwinienne mais d'une évolution à long terme perçu commme obéissant à une sorte d'orthogenèse. Il faudrait cependant vérifié plus en détails si c'est réellement ce que théorisait ce scientifique russe dans son découplace entre microévolution et macroévolution. Stephen Jay Gould reprend ce découplage, qui fut déjà repris par d'autres avant lui, mais ne propose bien évidemment pas que la macroévolution soit le fait d'une hypothétique orthogenèse.

Références:

[1] Donald Prothero (2009), Stephen Jay Gould: Did He Bring Paleontology to the “High Table”?, Philosophy and Theory in Biology

[2] Stephen Jay Gould (2002), La structure de la théorie de l'évolution, Éditions Gallimard 2006

[3] Anthony J. Arnold et Kurt Fristrup (1982), The theory of evolution by natural selection: a hierarchical expansion, Paleobiology

4 commentaires:

  1. Salut cryptosporidium01

    Je n'ai hélas pas le temps de répondre en détail à ton présent commentaire mais pour faire court j'ai moi-même remis en question la rhétorique gouldienne de la sélection hiérarchique dans le présent message.

    Concernant le gène Égoïste de Richard Dawkins c'est une métaphore qui a le mérite d'être plus simple que la rhétorique gouldienne. problème elle demeure une métaphore car ce n'est jamais le gène qui est positivement ou négativement sélectionné mais bel et bien l'individu et/ou le phénotype de ce dernier. Par exemple un gène délétère mais récessif n'est pas en lui-même sélectionné, il passera d'une génération à une autre tant qu'il sera à l'état hétérozygote et ne sera négativement sélectionné que si homozygote c'est-à-dire expriment la phénotype délétère qui lui est de manière concrète négativement sélectionné. Ne parlons même pas des cas de «Genetic Hitchhiking» aussi appelé «Genetic Draft» où des allèles neutres ou même délétères parviennent à augmenter en fréquence car simplement lié à des allèles codant des phénotypes avantageux, c'est toujours le phénotype et l'individu porteur qui est concrètement positivement sélectionné. Les gènes et/ou allèles sont donc simplement «embarqués» avec le phénotype. Certes l'allèle responsable d'un phénotype positivement sélectionné sera toujours embarqué mais il n'en demeure pas moins que c'est bien le phénotype qui est de manière concrète avantageux et donc positivement sélectionné.

    Mais donc merci pour ton présent commentaire! ;-)

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  2. Re-salut cryptosporidium01

    Je ne comprends pas très bien l'exemple que tu mentionnes ici, je ne sais pas si c'est un exemple de conflit génétique mais si tu prend les exemples mentionnés dans le lien que je viens de te fournir l'unité de sélection n'est jamais le gène mais là encore les cellules et/ou gamètes elles-mêmes. Il faut garder à l'esprit ce sur quoi s'exerce concrètement la sélection. Attention également de ne pas confondre la notion de gène égaïste de Richard Dawkins avec ce qu'on appelle parfois de l'ADN égoïste contre les transposons souvent neutres sélectivement parlant mais se répliquant néanmoins dans le génome sans conséquence négative ou positive pour l'organisme.

    Merci encore pour tes commentaires! ;-)

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  3. Voici à nouveau le lien il devrait marcher à présent. Concernant la notion de gène égoïste cette notion confond justement «unité de sélection» et «réplicateurs». Reprend l'exemple de l'allèle délétère récessif, il a beau se répliquer parfaitement il ne sera sélectionné que s'il est à l'état homozygote donc que s'il s'exprime phénotypiquement chez l'individu car c'est toujours l'individu et le phénotype qui sont concrètement sélectionné, pas le gène lui-même fusse-t-il un bon «réplicateur». Comme tu le dis la sélection se fait via l'environnement donc via des interaction de l'organisme avec son environnement, mais donc c'est bien l'organisme et son phénotypes qui interagissent pas les gènes. La métaphore de Richard Dawkins n'est pas pertinente, les gènes étant embarqués avec l'organisme pas eux-mêmes sélectionnés! Et sinon merci à toi aussi! ;-)

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  4. Mais de rien Merci aussi à toi pour cet intéressant échange! ;-)

    Sinon je comprends bien ce que tu veux dire, je ne dis pas que la métaphore de Dawkins est incompréhensible ou stupide en tant que métaphore, mais elle demeure néanmoins inexacte si l'on se sert de la dite métaphore pour faire du gène le niveau de sélection, cette dernière proposition est fausse. Par ailleurs les gènes ou plus généralement l'ADN est également la résultante de l'organisme si l'on peut dire, et pour prendre une métaphore, l'ADN serait en quelque sorte le support, ou le réceptacle de l'ensemble de l'information constituant un organisme. Ainsi l'ADN et les gènes sont commodes et utiles pour fournir des données sur l'organisme ou les populations d'organismes (notamment pour reconstruire le phylogénie et détecter des empruntes de la sélection naturelle) mais ils n'en sont pas forcément l'aspect le plus centrale (pas plus que l'ensemble des enzymes, l'ADN codant les enzymes mais les enzymes répliquant également l'ADN) donc sans qu'ils ne méritent le statut d'unité de sélection qui elle doit concerner l'organisme et ses interactions avec l'environnement. En espérant que mon présent message soit compréhensible.

    Cordialement

    Hans

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