Corneille Mantelée (Corvus cornix) à gauche et Corneille Noire (Corvus corone) à droite
L’intitulé ce cet article est donc «L' Histoire de deux corneilles» (titre que j'ai honteusement copié et traduit de l'article du biologiste Jerry Coyne) ou mieux dit l'Histoire de deux populations de corneilles européennes, à savoir la corneille noire (Corvus corone) et la corneille mantelée (Corvus cornix). Deux populations de corneilles qui ont donc chacune leur nom binominal en latin servant à définir des espèces. Ainsi si l’on s’en tenait à la nomenclature Corvus corone et Corvus cornix seraient bel et bien deux espèces distinctes. Problème comme pour l’ourse polaire (Ursus maritimus) et l’ours brun (Ursus arctos), ces deux populations de corneilles sont interfécondes! Mais c’est encore pire lorsque l’on analyse le génome de ces deux populations sur leurs aires respectives de distribution. [1]
Aires de distribution de la corneille noire (gris foncé) et de la corneille mantelée (gris clair) le présent diagramme indiquant égalament la localisation des individus dont le génome a été étudié dans l'étude citée dans le présent article. [1]
En effet une récente étude mené par J. W. Poelstra, N. Vijay et al [1] montre de manière claire que les corneilles noires allemandes sont génétiquement plus proches
des corneilles mantelées suédoises que des corneilles noires espagnoles.
Difficile dès lors de considérer les corneilles noires et les corneilles
mantelées comme deux espèces distinctes car de toute évidence les flux
de gènes sont relativement réguliers, même si limités, entre ces deux
populations de corneilles. Mais l'étude pointe également vers d'intéressantes exceptions à cette dernière constatation. En effet sur plus de huit
millions de «Single Nucleotide Polymorphism» (SNPs) analysés seuls 83
distinguait de manière catégorique (c’est-à-dire étaient fixées ou
presque fixées) corneilles noires et corneilles mantelées et 81 des 82
SNPs en question se situent sur un seul chromosome à savoir le
dix-huitième chromosome! [1] Et comme on peut s'y attendre les SNPs incriminés correspondent à des séquences génétiques impliqués dans la couleur du plumage!
Comme
le schématise la divergence génétique entre différentes populations de corneilles via les plus de 80 millions de SNPs situés sur l'ensemble du génome. Nous remarquons par exemple que pour la majeure partie du génome, l’indice de fixation Fst est moindre est moindre entre corneilles noires allemandes et
corneilles mantelées suédoise qu’il ne l’est entre corneilles noires
allemandes et corneilles noires espagnoles. Donc que les corneilles noires allemandes sont génétiquement plus proches des corneilles mantelées suédoises qu'elle ne le sont des corneilles noires espagnoles. Cependant nous remarquons sur l'ensemble du génome
quelques exceptions. En effet il existe des séquences génétiques qui divergent
énormément entre l’ensemble des corneilles noires et des corneilles
mantelées, y compris entre corneilles noires allemandes et corneilles
mantelées suédoises. C'est sur le chromosome numéro dix-huit que se concentrent l'essentiel de ces SNPs séparant nettement les corneilles noires des corneilles mantelées. [1]
Mais pourquoi alors que pour
la majorité du génome les différents allèles voyagent relativement
librement d’une population à l’autre, certains allèles, ceux codant de
la couleur ne parviennent pas à circuler librement via les flux de gènes
ayant pourtant court entre corneilles noires et corneille mantelée.
Pourquoi? La réponse s’appelle «sélection sexuelle»! En effet parmi les SNPs variant de manière importantes en fréquence entre corneilles noires et corneilles mantelées, certains se trouvent également sur des séquences impliquées dans la vision et donc très probablement dans les préférences visuelles de ces corneilles! La conséquence de tout ceci est que les
corneilles de chaque population ont tendance à privilégier les
accouplements avec des corneilles ayant le même plumage. Dit autrement
une corneille noire sera davantage attirée par une corneille noire et une
corneille mantelée davantage attiré par une corneille mantelée (j'ignore cependant à ma connaissance si la préférence ne concerne que les mâles pour les
femelles ou les femelles pour les mâles ou alors que celle-ci marche
dans les deux sens). Ainsi malgré l’existence de quelques échanges
génétiques assurant la proximité génétique des populations de corneilles
noires et mantelées voisines l’une de l’autre, les deux populations
demeurent in fine
phénotypiquement distinctes. Les quelques hybrides parvenant à
s’accoupler avec soit des corneilles noires soit des corneilles
mantelés, ont généralement au final des descendants sans particularité
phénotypique les distinguant de manière claire de la population dans
laquelle ils ont alors été absorbés.
Mais attendez une minute!
Oui attendez car il y a un truc cloche! En effet si des flux de gènes ont ainsi lieux entre ces deux populations
de corneilles, normalement recombinaisons génétiques et autres «crossover» devraient permettre à terme grâce aux hybridations
sporadiques mentionnées ci-dessus, la naissance de corneilles noires
ayant une préférence visuelle pour les corneilles mantelées et
inversement des corneilles mantelées ayant une préférence pour des corneilles noires! Et cela d'autant plus qu'il n'existe pas de barrières géographiques et écologiques difficilement franchissable séparant ces deux populations de corneilles! Dès lors pourquoi malgré ces incontestables flux de gènes,
même dans les zones où ces deux populations se recoupent, les corneilles
noires ont toujours une préférence pour les autres corneilles noires et
les corneilles mantelées pour les autres corneilles mantelées aux point que les deux populations semblent toujours bien distinctes l'une de l'autre? Ou si l'on s'interroge directement au niveau des séquences génétiques, pourquoi chaque allèle (par exemple l'allèle favorisant une préférence pour la couleur noire) des séquences impliquée dans la préférence visuelle d'un couleur particulière demeure-t-il toujours associé à l'allèle codant la même couleur (donc la couleur noire) et pas à l'autre? La
réponse tiendrait en un mot: «Inversion»! Qu’est-ce qu’une inversion? La
réponse en image!
Bien maintenant retenez le digramme ci-dessus et expliquons de manière simplifiée, comme l'a fait Jerry Coyne, cette histoire d’inversion dans notre histoire de corneilles. Rassurez-vous c’est assez simple. Imaginons que la séquence «D» de notre chromosome schématisé ci-dessus, soit responsable de la couleur du plumage de nos corneilles et que la séquence «F» soit responsable de la préférence visuelle de nos corneilles pour un plumage de couleur spécifique. Un jour une inversion se produit et se répand au sein d’une des populations de corneilles comme le montre le schéma ci-dessus. Une fois que cette inversion a eu lieu il n’est virtuellement plus possible d’avoir de «crossover» (voir diagramme ci-dessous) sur les régions «D» et «F» entre la population porteuses de l’inversion et celles ne la possédant pas, car tout «crossover» dans cette région se solderait par la perte d’une séquence génétique vitale sur les chromosomes concernés et engendrerait donc probablement des zygotes non-viables. Dès lors ces séquences, celles codant la couleur du plumage et celle codant la préférence visuelle, vont évoluer toutes les deux de concert mais de manière indépendante entre la population porteuse de l’inversion et celle chez laquelle celle-ci est absente. Dès lors qu’une préférence visuelle pour une couleur est présente dans une population et une autre dans l'autre population, celles-ci persisteront et demeuront telles quelles dans chacune des deux populations en question!
Dans
le cas d’un «crossing-over» ordinaire (A) nous avons un morceau de
chaque chromosome homologue qui est échangé avec l’autre, ce qui
contribue au brassage d’allèles comme le montre le diagramme ci-dessus.
Cependant une inversion peut compliquer les choses et empêcher la
viabilité de certains crossing-over (B), car si des gènes et/ou séquences
vitaux ont été touchés par l’inversion, alors un crossing over peut
déboucher sur la perte totale du dit gène ou de la dite séquence sur le
chromosome concerné alors qu’il se retrouve à la place avec la copie
excédentaire d’une séquence et/ou d’un gène qu’il possède déjà. Ce
phénomène pourrait expliquer le maintien de la barrière comportementale
séparant des deux populations de corneilles en fonction de leurs
phénotypes respectifs.
Dès lors il est
virtuellement impossible d’avoir des corneilles noires ayant une
préférence visuelle pour les corneilles mantelées et des corneilles
mantelées ayant une préférence visuelle pour les corneilles noires, la
couleur du plumage et la préférence visuelle pour celle-ci, demeurant
fixées telles quelles dans chacune des deux populations de corneilles
malgré les flux de gènes sporadiques entre ces dernières. Flux de gènes que ces
préférences visuelles limitent par ailleurs de manière sensible le tout
favorisant éventuellement une possible spéciation à venir entre ces deux populations
de corneilles. Et notez bien que (1) il s'agit de toute évidence d'une évolution récente et que (2) il ne s'agirait pas du seul cas de divergence populationnelle et possiblement in fine de spéciation, provoquée par une «Inversion», comme le rappellent les auteurs de cette étude [1].
Une question demeure encore: Doit-on considérer ces deux populations de corneilles comme deux espèces distinctes? Personnellement et comme d’autres l'ont me semble-t-il déjà exprimé, je dirais que non, au mieux pourrait-on les considérer comme deux sous-espèces. Mais au final cela n’a pas spécialement d’importance. La notion d’espèce étant certes utile mais il faut garder à l’esprit que celle-ci n’est pas toujours adéquate ou commode pour décrire certaines populations d’être vivants aux relations et situations complexes ne se laissant pas capturer par nos catégorisations platoniciennes . Ce qui compte c’est de comprendre correctement les relations et situations en question cela ne voulant bien-évidemment pas dire que la notion d’espèce ne demeure pas une notion tout à fait commode et utile dans de nombreux autres cas.
Une question demeure encore: Doit-on considérer ces deux populations de corneilles comme deux espèces distinctes? Personnellement et comme d’autres l'ont me semble-t-il déjà exprimé, je dirais que non, au mieux pourrait-on les considérer comme deux sous-espèces. Mais au final cela n’a pas spécialement d’importance. La notion d’espèce étant certes utile mais il faut garder à l’esprit que celle-ci n’est pas toujours adéquate ou commode pour décrire certaines populations d’être vivants aux relations et situations complexes ne se laissant pas capturer par nos catégorisations platoniciennes . Ce qui compte c’est de comprendre correctement les relations et situations en question cela ne voulant bien-évidemment pas dire que la notion d’espèce ne demeure pas une notion tout à fait commode et utile dans de nombreux autres cas.
Référence:
[1] J. W. Poelstra, N. Vijay et al (2014), The genomic landscape underlying phenotypic integrity in the face of gene flow in crows, Science
bonjour, http://www.cafe-sciences.org/
RépondreSupprimerBonjour,avez-vous une adresse email où je peux vous rejoindre?
RépondreSupprimerBonjour Nikky
SupprimerBien sûr, je vous communique ici mon adresse hotmail.
brunchy.bis@hotmail.com
N'hésitez pas à m'envoyer vos questions si vous en avez, j'y répondrai volontiers.
Bruno (alias Hans)