Comme vous le savez probablement déjà, environ 8% de notre génome est d’origine rétroviral, il s’agit des Rétrovirus Endogènes ou ERV (Endogenous Retrovirus). Si vous ignorez ce que sont les Rétrovirus Endogènes et quelles sont les origines de ces derniers je vous conseille la vidéo suivante.
Notez
que dans le présente vidéo ils francisent également l’acronyme ERV
(Endogenous Retrovirus) et le renomment RVE (Rétrovirus Endogène).
Bien et maintenant que vous savez ce qu’est un ERV (ou RVE) et accessoirement en quoi ils sont un formidable outil pour démontrer l’ascendance commune des différentes espèces, attaquons le vif du sujet, à savoir le rôle de certains ERV dans l’évolution de notre placenta.
Protéine virale et placenta
En effet une partie des rétrovirus endogènes acquis durant la longue évolution des mammifères ont été coopté pour l'élaboration du placenta. Certains ERVs contribuent ainsi à avoir une fonction immunosuppressive, fonction indispensable car sans elle le système immunitaire de la mère attaquerait l'embryon. Mais dans le présent article nous allons nous intéresser plus en détail à des ERVs qui permettent de synthétiser une protéine indispensable au placenta des mammifères que nous sommes, à savoir la Syncytine. La Syncytine dérive d’une protéine env, c’est-à-dire d’une protéine de l’enveloppe virale des rétrovirus. Les gènes viraux codant cette protéine se sont ainsi insérés chez les mammifères marsupiaux et euthériens qui ont ainsi acquis la capacité de synthétiser cette fameuse Syncytine [1]. Cette dernière permet aux cellules du placenta de fusionner entre elles (on parle d'activité fusogène) permettant l'établissement d'un syncytium, un tissu constitué de cellules à plusieurs noyaux (car issues de la fusion de plusieurs cellules) présent à l'interface materno-fœtale, et indispensable au bon fonctionnement du placenta de nombreux mammifères (dont celui des humains).
Diagramme 1. Diagramme d'une glycoprotéine d'enveloppe rétrovirale (a) Structure de la protéine d'enveloppe rétrovirale avec les sous-unités SU et TM, le peptide de fusion et le domaine immunosuppresseur. (ISD). (b) Les conséquences de l'interaction entre une protéine d'enveloppe rétrovirale et de son récepteur apparenté. (i) Cas d'une infection rétrovirale, le rétrovirus utilise sa glycoprotéine env pour engager une fusion membranaire avec la cellule cible et ainsi inséré son matériel génétique à l'intérieur de la cellule. (ii) Cas de fusion cellulaire, La cellule porteuse de la glycoprotéine d'origine virale (syncytine) entre en contact avec une autre cellule, la glycoprotéine permet là aussi une fusion des enveloppes et donc ici une fusion de deux cellules, et donc la formation d'un syncytium, cellule à deux voir plusieurs noyaux. (ii). (c) La fusion de cellules humaines et la formation de syncytia multi-nucléaires (processus similaire menant à la formation du syncytium) induite par transfection de cellules TE671 humaines par un vecteur d'expression syncytine-2.
À vue de nez le scénario est donc simple, l'ensemble des mammifères ayant un placenta avec syncytium, dérive d'un ancêtre commun ayant acquis un ERV dont le gène env à par la suite été coopté pour l'élaboration des dits syncytium que nous connaissons. Sauf que l’histoire est en réalité bien plus complexe. Plus complexe car d'une part il existe au moins quatre grands types de placentas. Il y a le placenta du type hémochorial (comme chez les humains) avec un syncytium bien constitué et une forte activité fusogène, le placenta de type endotheliochorial, différent du précédent type mais présentant lui aussi une activité fusogène importante et un syncytium, le placenta synepitheliochorial, propre aux ruminant et présentant une activité fusogène réduite et enfin le placenta épithéliochorial dépourvu de syncytium (voir diagramme 2). Le deuxième point complexifiant l'évolution des placentas est que la distribution des quatre types de placenta susmentionnées au sein des grands clades des mammifères, ne correspond pas à l'apparentement phylogénétiques de ces derniers (voir diagramme 2). Mais les choses deviennent plus claires lorsque l'on analyses les ERVs codant la Syncytine.
De multiples ERVs
En 2013 une équipe de chercheurs français publie une étude des plus intéressantes sur les ERVs impliqués dans le développement du placenta chez les mammifères. [2] Les chercheurs mettent à jours non pas un mais de multiples ERVs impliqué dans la synthèse de Syncytine et donc dans le développement du placenta. Mais plus fort encore ils déterminent que les ERVs en question ne sont pas les mêmes dans tous les clades de mammifères. Par exemple un des ERV synthétisant la Syncytine chez les carnivore comme les chiens et les chats n’est pas du tout le même que ceux synthétisant la Syncytine chez les primates. Mieux souvent ces ERVs ont une origine relativement récente, par exemple les ERVs impliqués dans la synthèse de Syncitine chez les primates datent d’il y a moins de 50 millions d’années. Soit beaucoup plus tard que l’apparition des premiers mammifères placentaires.
Diagramme 2. Diagramme présentant la capture de plusieurs ERVs codant la syntycine au cours de l'évolution de grands clades de mammifères, ainsi que l'arbre phylogénétique de ces clades, et les différentes structures placentaires au sein de ces derniers. (a) Arbre phylogénétique de quatre clades majeurs d'Euthériens (I) Afrotheria, (II) Xenarthra, (III) Euarchontoglires et (IV) Laurasiatheria, nous avons également les clades de mammifères plus basaux que sont les marsupiaux et les monotrèmes. Les quatre types de développement placentaires sont représentés par des carrés de couleurs (chaque couleur correspond à une boîte de la même couleur encadrant chaque type de placenta à droite du présent diagramme). Les triangles violets placés sur l'arbre phylogénétique, représentent les événements d'acquisition des différents ERVs codant la Syncytine répertoriés par cette étude (d'autres ERVs similaires existent également au sein des lignées où ils ne sont pas mentionnés ici, mais ils n'ont simplement pas été répertoriés par la présente étude, rapelons qu'une autre étude fait état de pareils ERVs chez les marsupiaux [1]), chez les différents clades de mammifères. (b) Enfin toute à droite du présent diagramme nous avons quatre cadres contenant chacun un type de développement placentaire différent (rappel la couleur des cadres correspond aux couleurs des carrées à l'extrémité de l'arbre phylogénétique).
De Multiples infections rétrovirales.
À partir de là le scénario évolutif des mammifères s'éclaire davantage. Premièrement rappelons que l'acquisition du placenta remonte au lointain ancêtre commun des mammifères marsupiaux et euthériens (les monotrème demeurant ovipares). Cette acquisition originelle du placenta a peut-être (voir probablement ) été possible grâce a l'endogénéisation d'au moins un premier rétrovirus ancestral ayant permis l'acquisition d'une fonction immunosuppressive ayant rendu possible la tolérance de l'embryon et du fœtus par son hôte maternelle.
Mais par la suite les rétrovirus continuèrent d'influer massivement l'évolution du placenta. Car alors que les mammifères se diversifiaient, ils continuèrent d'intégrer divers ERVs dont beaucoup furent cooptés pour leur Syncytine. Or l'impact des infections virales explique très probablement pourquoi le placenta est l’organe le plus variable parmi les mammifères (voir le diagramme 2 ainsi que l'étude de LAVIALLE et al 2013 [2]). En effet les divers placentas des diverses lignées de mammifères n’ont cessés d’évoluer au grès des diverses infections virales qui n'ont cessé de favoriser une forte divergence des diverses structures placentaires. Par ailleurs un mammifère donnée même s'il possède déjà une activité fusogène lié à un ERV (appelons le ERV1), peut également au cours de son évolution acquérir un autre ERV (appelons le ERV2) synthétisant lui aussi de la Syncitine et étant lui aussi fusogène. Ce nouvelle ERV participant à son tour à une modification d'un placenta avec fusion des cellules. La lignée de mammifère ainsi concerné coévoluant avec ses hôtes d’origine viral. Le truc c’est qu’au cours de l’évolution l’ERV1 peut donc devenir obsolète et perdre son activité (devenir un des multiples ERV fossiles) voir disparaitre, ne laissant plus que l’ERV2 en activité. [3] Nous pouvons illustrer ce scénario via le digramme suivant.
Diagramme 3. Prenons l’exemple d’une lignée de mammifères possédant déjà un ERV1 doté d’un gène codant la syncytine (A). Un jour un nouveau rétrovirus infecte les cellules germinales d’un membre de cette espèce (B), le rétrovirus va subir une endogénéisation et ainsi donner naissance à l’ERV2 (C) dont le gène env est lui-même devenu un gène permettant la synthèse de la Syncytine, les gène gag et pol ayant de l’ancêtre virale de l’ERV ayant été quant à eux désactivé. Suite à l’arrivée de l’ERV2, le gène de la Syncytine de l’ERV1 est désactivé par une mutation, si bien qu’au final la lignée de mammifère en question ne conserve que la Syncytine de l’ERV2, l’ERV1 étant devenu un ERV fossile sans fonction aucune (D).
C’est ainsi que de nouveaux ERVs coopté pour la synthèse de la Syncytine, mais aussi pour d'autres fonctions, n’auraient cessé d’envahir le génome des mammifères, les nouveaux venus remplaçant parfois les anciens. De plus les ERVs codant la Syncytine différent sensiblement les uns des autres, se logent dans différentes parties du génome et évoluent de manières différentes avec leurs hôtes, expliquant ainsi la forte diversification des placentas chez les mammifères (voir le précédent diagramme)
Puis arrivèrent les créationnistes
Ben oui nous avons ici une étude élucidant une part importante de l’évolution des mammifères, il fallait bien que les créationnistes y amènent leur grain de sel. À savoir ici la créationniste Anne Gauger qui nous explique que cette étude met à mal la théorie de l’évolution car remettrait en cause l’ascendance commune des mammifères, rien que cela! Son «raisonnement» est le suivant:
«Ce que nous avons à expliquer est la cooptation, indépendante, spécifique et unique à chaque groupe de Syncytines pour une fonction qui est essentielle pour le développement placentaire, une caractéristique commune à tous les groupes de mammifères. Six origines indépendantes pour le placenta! Il n'y a aucune preuve d'une grande Syncytine ancestrale partagée par tous les groupes qui a ensuite été remplacé par d'autres Syncytines, donc l'explication de l'ascendance commune du placenta chez les mammifères échoue.» Ann GaugerÀ cela je réponds «Bullshit»! Bullshit car les auteurs de l'étude n'affirment pas que le placenta ancestrale avait dès le départ une Syncytine (objectivement rien n'est sûr de ce côté là). Bullshit car comme je l’ai précisé plus haut, l’étude en question explique pourquoi les ERVs synthétisant la Syncytine ne sont pas les mêmes au sein des différentes lignées de mammifères, à savoir la répétition des insertions rétrovirales et le remplacement d’anciens ERVs par de nouveaux et qu'il n'est donc pas question dans cette étude de six origines indépendante du placenta. Bullshit aussi parce que l’étude à même la preuve de ce qu’elle affirme à ce titre je cite l’étude en question.
«Une conséquence de ce modèle est l’existence d’éléments attestant de Syncytines perdus chez les mammifères euthériens et c’est précisément ce qui fut trouvé dans une récente étude d'un autre gène de protéine d'enveloppe virale, qui appartient un provirus HERV-V, nommé envV, et qui est également exprimé dans le placenta humain, et dont le rôle putatif dans la formation du placenta humain reste à étudier, car il a été constaté que ce gène n’a pas d’activité fusogène. [67]. En fait, ce gène env est entré dans le génome des primates en concomitance avec le gène syncytine-2, qui est, âgé de plus de 45 Ma comme inféré de son présent rôle chez les primates. Fait intéressant, il a été montré récemment que le gène (le gène envV) est fusogène chez les cercopithécidés (Old World Monkeys), où il se comporte probablement encore comme une véritable syncytine, alors que son activité fusogène semble avoir été perdu chez les primates supérieurs (y compris chez les humains) ainsi que chez certains singes du Nouveau Monde [68].» LAVIALLE Christian et al
Dit autrement nous avons ici l’exemple d’un ERV (le gène envV) qui a conservé son activité fusogène chez certaines espèces mais l’a perdu chez d’autres, ce qui confirme le modèle évolutif des ERVs des auteurs. Mais bien évidemment Ann Gauger passe très malhonnêtement sous silence ce passage clé de l’étude en question pour tenter de faire passer sa narration voulant que la multiplicité des ERVs chez les mammifères réfutent l’ascendance commune de ces derniers.
Mais pourquoi mentionner cette créationniste?
Ben oui était-ce vraiment nécessaire de mentionner une énième distorsion malhonnête venant de créationniste ? Je pense que cela est nécessaire car permettant de rappeler les ficelles d’une stratégie de propagande créationniste bien connue, à savoir la capacité à désinformé les gens en faisant croire que la position créationniste est scientifique. Une personne mal-informée pourrait penser que les créationnistes ont en fait la science de leur côté car citant des études qui apparemment démontrent la validité de leur position antiévolutionniste. Et souvent les créationnistes du «Discovery Institute» privilégient des études comme celles discutées dans le présent topic, à savoir des études qui traitent de sujet ma foi, déjà passablement complexes et qui ne sont pas forcément comprises par un profane non initié à ces thématiques. Dès lors il est toujours utile de démonter cette stratégie créationnistes particulièrement malhonnête et méprisable sur le plan intellectuelle puisque consistant à faire die à des études ce qu’elles ne disent pas via le «Quote Mining», le mensonge par omission et autre distorsions. Et bordel à titre personnelle je trouve particulièrement ignoble de distordre des études aussi fascinantes et riche d'enseignement pour faire passer un agenda idéologique moisi visant à abrutir les gens. Je ne comprendrais jamais comment ces personnes font pour ne pas avoir honte ça dépasse mon entendement.
Notes et Références:
[1] Et oui les marsupiaux ont également deux types de placenta qui leur sont propre et ont également acquis des ERVs permettant la synthèse de Syncytine indépendamment de leurs cousins placentaires. CORNELISA Guillaume et al (2015), Retroviral envelope gene captures and syncytin exaptation for placentation in marsupials, Proceedings of the National Academy of Sciences
[2] LAVIALLE Christian et al (2013), Paleovirology of ‘syncytins’, retroviral env genes exapted for a role in placentation, Philosophical Transactions of the Royal Society
[3] Environ 85% des ERVs de notre génome sont en fait des ERVs fossiles dépourvus de séquences codantes et très probablement pour la plupart sans fonction aucune pour l'organisme, voir KATZOURAKIS Aris, RAMBAUT Andrew and PYBUS Olivier G (2005), The evolutionary dynamics of endogenous retroviruses ,TRENDS in Microbiology
Vidéo Bonus