Si
vous avez suivi la semaine thématique sur le cerveau proposé par le C@fé des Sciences. Vous aurez peut-être noté que notre cerveau s’avère fortement malléable à
certains facteurs environnementaux. Ainsi il semble que l’allaitement ait un effet important sur le développement ultérieur de certaines capacités cognitives!
Néanmoins certains soulignent (en parti à juste titre) que notre
intelligence serait également fortement héréditaire. Pour déterminer
l’héritabilité de l’intelligence ils utilisent généralement les études
sur les jumeaux, voir même plus récemment la méthode dite
«Genome-wide association studies» ou GWAS (cette dernière méthode
étant arrivé à une estimation de l’héritabilité de l'intelligence tournant autour des
50%) [1]. Et de manière plus précise, comme mesure de l’intelligence, ces études utilisent bien
évidemment les tests de QI. Même si certains peuvent pointer à juste
titre les limites des tests de QI ainsi que le fait que certains
chercheurs aient utilisé et interprété ces tests n’importe comment. Mais donc dans le présent billet nous allons dans un premier temps partir du principe que les études ayant tentées de contrôler au
mieux les variables environnementales pour ensuite prendre parti pour
une thèse «héréditariste» (comme les appelle communément certains), les ont effectivement bien contrôlé. Ainsi dans les prochaines lignes j'expose très brièvement en quoi consiste la position «héréditariste» afin
de voir où celle-ci nous mène, puis au final nuancée voir même critiquer dans une certaine mesure la dite hypothèse aux regards de quelques autres faits.
«Le QI est hautement héréditaire et son héritabilité augmente avec l’âge»
Cette
assertion est généralement au centre des thèses «héréditaristes». La
base de celle-ci est généralement constituée par les études sur les jumeaux. Par
exemple prenez deux vrais jumeaux élevés séparément, durant les
premières années de leur vie (aux alentours de 7 ans) le QI de nos deux
jumeaux aura tendance à être plus ou moins dissemblables en raison des
environnements différents dans lesquels ils évoluent. Mais au
fur-et-à-mesure que nos deux jumeaux grandissent leur QI s’égaliseront
de plus en plus malgré le fait d’être toujours séparés, si bien que
généralement une fois adultes nos deux jumeaux auront un donc des QI très
semblables (en moyenne seulement car des exceptions existent). Chez les faux jumeaux cette similitude étant bien moindre et
donc cela confirmant la haute héritabilité du QI. Mais ce n’est pas tout
car il y a une autre dimension très importante souvent invoquée par les
partisans de cette position «héréditariste». En effet cette dernière
stipule que ce n’est pas tant l’environnement qui explique donc le haut
QI des individus (l’environnement aurait un impact très limité), ce
serait plutôt le haut QI inné des individus qui expliquerait
l’environnement dans lesquels ces derniers évoluent. Dans nos sociétés modernes, une personne ayant
un patrimoine génétique conférant un haut QI, excellerait dans ses
études (les sociétés modernes étant généralement dépeintes comme étant
de véritables méritocraties même imparfaites par les partisans de cette
thèse), et donc se créeraient eux-mêmes un environnement favorable à un
haut QI. Certains partisans de ces thèses allant donc même jusqu’à
soutenir que la stratification sociale serait en bonne partie un reflet
des inégalités génétiques en matière d’intelligence!
Graphe représentant la supposée augmentation de l'héritabilité QI durant la croissance des individus. Ainsi le QI serait beaucoup plus héritable chez les adultes que chez les enfants. Image tirée de Matt McGue et al (1996). [2]
Alors bon
pour les quelques lignes qui suivent imaginons que la position
«héréditaristes » (même si non-formellement définie) soit vraie, à
savoir que les enfants dotés d’un génome favorisant une haute intelligence (ici mesuré par le QI même si la plupart d’entre-vous,
êtes déjà au courant des limites importantes des dits tests de QI) se créé eux-même un environnement favorable intellectuellement parlant et non l'inverse! Si,
si je vous demande d’adhérer pleinement à cette hypothèse, embrassez
cette dernière, roulez-lui une pelle ou mieux encore faites lui l’amour tendrement , vous comprendrez pourquoi! Donc selon la dite hypothèse
les enfants dotés d’un génome favorisant une haute intelligence, se
créent eux-mêmes un environnement favorable intellectuellement en
réussissant bien à l’école et in fine en trouvant des jobs haut placés. Bon maintenant si vous suivez
toujours bien la balle des yeux, souvenez-vous de l’héritabilité du QI
qui augmente avec l’âge, et mettez en lien cette dernière «donnée» avec
l’hypothèse précédemment mentionnée.
C’est bon vous avez pigé le truc?
Bon
pour ceux qui roupillent au fond de la classe, on devine ici que
l’augmentation de l’héritabilité du QI avec l’âge serait en réalité dût à
un véritable effet feedback! C’est simple à comprendre l’enfant qui
réussit mieux à l’école dès les premières années de sa scolarité en
raison comme on le suppose ici, d’un avantage cognitif quelconque
lui-même lié à certaines particularités génétiques (particularité
génétique conférant peut-être une meilleure mémoire visuelle ainsi
qu’une «bosse des maths»), va dès le départ mieux s’accrocher à ses
études, sa facilité le motivant davantage à ces dernières. Et cet
investissement plus important consacré à ses études, va lui-même booster
certaines capacités cognitives notamment celles favorisant une grande
réussite aux tests de QI! Ben oui on remarque que dans cette hypothèse GxE
prend la forme d’un gros effet feedback. C’est exactement ce
qu’avait souligné Anders Stenberg, dans une récente et intéressante
publication [3] où il illustre grossomodo la chose via l’analogie suivante. Imaginez
deux jumeaux ayant une forte prédisposition génétique à être dépendant
du tabac et/ou à en consommer et/ou à en augmenter la consommation une
fois qu’ils ont commencé d’en fumer. Ces deux jumeaux, si vivant tous
deux dans un environnement où le tabac est accessible auront de très
fortes chances de développer tous deux un cancer du poumon. Dès lors on
détectera une forte «héritabilité» chez ces jumeaux pour le cancer du
poumon. Mais en réalité cette forte héritabilité du cancer, n’est issue
en bonne partie, que de la complexe interaction entre une prédisposition
«psychique» et un type d’environnement particulier, à savoir ici un
environnement où le tabac est disponible et sa consommation plus ou
moins encouragée. Le cancer n’était donc pas une fatalité «innée» chez
ces jumeaux car là aussi nous avons une suite d’interactions complexes
incluant également un Feedback positif.
Oui
parce que par dire que le feedback est «positif» pour quelque chose dont la conséquence finale est un
«cancer», pourrait limite passer pour de l'humour noir!
Dès lors vous l’avez compris on a
un petit problème (euphémisme) pour dissocier l’impact de
l’environnement de celui des gènes, car après tout quelles «capacités
cognitives» ou même comportementales de base faut-il pour avoir beaucoup plus de chance de s’accrocher davantage à ses études et donc ainsi améliorer ses chances de booster son QI au fur et à mesure de sa scolarité?
Et à ce titre cela nous amène donc inévitablement aux biais
environnementaux.
Les biais sont de retour!
Et
donc nous revoilà à tomber dans la complexité que représente
l’interaction entre le «substrat génétique» et l’environnement ce qui
nous amène inévitablement à nous poser pas mal de questions sur
l’interprétation que nous pouvoir de certains résultats ainsi des «biais
environnementaux» potentiels! Car bon si les vrais jumeaux étudiés,
même si élevés séparément, évoluent dans des environnements sociaux
similaires, nous comprenons que l’héritabilité élevé du QI chez les
jumeaux en question aura certes une composante génétique mais également
une importante composante environnementale indissociable de la première
via l’effet feedback précédemment mentionné. Et c’est là que
s’ajoutent des biais potentiels pouvant affecter ce type d'étude. Par exemple,
comme l’avait souligné le généticien Bertrand Jordan les vrais
jumeaux élevés séparément ne sont généralement non seulement pas élevés
dans des environnements sociaux différents (en fait même généralement
dans des environnements très semblables) mais en plus souvent se
connaissent et se sont déjà vu à plusieurs reprises. [4] De plus se
pose une autre question, la motivation des jumeaux à participer à ce genre d'étude et l’impact que cette motivation peut avoir dans la parcours de
vie respectifs des deux jumeaux en question, notamment s’ils ne tendent pas à faire
les mêmes choix et parcours de vie ou tout du moins des parcours très
similaires. Pour le cas de la comparaison vrais jumeaux contre faux
jumeaux, ces biais ont également un impact possiblement important. [5]
Alors certes l’impact génétique peut néanmoins toujours avoir lui aussi
un rôle important, mais donc toujours dans le cadre de cet effet feedback, comment être sûr de dissocier sans risque de se planter,
l’impact des gènes de celui de l’environnement? Voilà une question
difficile à résoudre et si vous ajoutez à cela l’impact de
l’épigénétique [6] et l’impact de facteurs environnementaux que l’on
pensait pourtant anodin, sur les performances obtenues lors d’un test de
QI [7], vous n’arrangez rien quant à la complexité de la thématique!
Car souvenez même si le QI est héritable (comme semble le montrer
l’étude utilisant les GWAS mentionnée au début du présent article) cela
ne veut donc pas dire qu’il ne peut pas être également fortement
malléable, l'importante plasticité cérébrale de notre espèce étant largement avéré! Dès lors sans remettre en cause le fait que notre intelligence soit tributaire d'importants facteurs génétiques et même en admettant que les études sur les jumeaux ont permis d'établir l'existence de ces facteurs importants, rien ne permet d'affirmer péremptoirement une proposition voulant que la stratification sociale reflète la distribution d'inégalités génétiques en matière d'intelligence!
Conclusion:
On
ne le dira jamais assez l'esprit humain est quelque chose de complexe
tout comme la génétique. Dès lors si vous pensez que vous pouvez
comprendre de manière simpliste l’intelligence humaine (qui ne se réduit guère aux résultats obtenus aux tests de QI), sa composante génétique et sa
distribution entre individus (voir même au sein des diverses populations
humaines) via simplement quelques résultats de tests standardisés et quelques
statistiques, vous vous fourrez le doigt dans l’œil jusqu’à l’omoplate! C’est pourtant ce que prétendent faire certaines personnes, y compris
des psychologues, souvent en ignorant non seulement la complexité que
représente pareille thématique du point de vue biologique mais également la complexe toile
de fond «sociologique» dans laquelle s’enracine ces questions (comment notre environnement social et culturel impacte
notre parcours de vie et donc in fine notre psyché) pour le moins complexes et controversées. Néanmoins vous pouvez donc retenir deux choses, qui au finale ne sont pas surprenantes mais utiles à rappeler à savoir que notre intelligence est à la fois «héréditaire» (donc en partie déterminée par notre génome) et malléable.
Références:
[2] Matt McGue et al (1996), Behavioral Genetics of Cognitive Ability : A Life-Span Perspective, in Nature, Nurture, and Psychology, Edited by Robert Plomin and Gerald E. McClearn 1996