mardi 4 janvier 2011

2. Y-a-t-il une controverse autour de l’origine dinosaurienne des oiseaux?

Ce message est la deuxième partie d’une série de plusieurs messages consacré à la «controverse» sur l’origine des oiseaux. Voir l’introduction à cette série en cliquant sur le présent lien.

2. L’homologie des doigts des oiseaux


Alan Feduccia fut probablement celui qui s’est le plus illustré dans l’opposition à l’origine dinosaurienne des oiseaux. C’est également lui qui amena le meilleur argument à l’encontre de l’origine dinosaurienne de nos amis à plumes. Cet argument était puissant puisqu’il remettait en question l’homologie des ailes des oiseaux avec les membres antérieurs des dinosaures théropodes.

En effet un des éléments en faveur de l’origine dinosaurienne des oiseaux, était la continuité apparente entre les doigts des membres antérieurs des dinosaures théropodes et les doigts des ailes des oiseaux (voir image ci-dessous).

De gauche à droite les «mains» de Segisaurus (Dinosaure théropodes «primitif»), Allosaurus (grand dinosaure carnivore de la période Jurassique), Velociraptor (dinosaure théropode Cœlurosauriens à plumes), Archaeopteryx (oiseaux «primitif») et Columba (oiseau moderne). Le registre fossile et l’anatomie compares nous montre la continuité existant entre les membres antérieurs des dinosaures théropodes et ceux des oiseaux modernes.

L’analyse des fossiles et l’anatomie comparée indiquaient donc que les oiseaux tout comme les dinosaures théropodes Cœlurosauriens, avaient conservé les doigts 1, 2 et 3 (c'est-à-dire I, II et III comme le montre l'image ci-dessus). Et donc il semblait évident que les doigts des oiseaux sont homologues à ceux des dinosaures théropodes. 

Cependant Alan Feduccia fit des observations qui mirent à mal cette homologie.

En effet en étudiant le développement d’embryons d’oiseaux, Alan Feduccia constata que les trois doigts formant les ailes des oiseaux se développaient sur des «emplacements» correspondant aux doigts 2, 3 et 4. En effet chez les vertébrés les doigts homologues se développent selon des «emplacements» homologues. Or Alan Feduccia constata que les doigts des oiseaux se développaient dans des «emplacements» correspondant aux doigts 2, 3 et 4 (voir image ci-dessous). Cela signifiant que les doigts des ailes des oiseaux sont les doigts 2, 3 et 4.

En haut le développement ontogénique de la main du crocodile, en bas une développement ontogénique de la main de l'oiseau. La comparaison de ces observations embryologiques effectuées par Alan Feduccia indiqueraient que les doigts des oiseaux sont les doigts 2, 3 et 4.
Or c’est là que le bât blesse car si les doigts des oiseaux sont les doigts 2, 3 et 4 cela signifie que les ailes des oiseaux ne sont pas homologues aux doigts des dinosaures théropodes qui leur sont les plus apparentés à savoir les Cœlurosauriens. En effet le registre fossile indique que les Cœlurosauriens ont conservé les doigts 1, 2 et 3. Ainsi de part ses observations Alan Feduccia publia les conclusions mentionnées ci-dessus en 1997 et il semblait alors être parvenu à mettre à mal un point crucial de la parenté dinosaures-oiseaux.


Mais en 1999 deux scientifiques nommés Günter P. Wagner and Jacques A. Gauthier, proposèrent une hypothèse susceptible d’expliquer les observations d’Alan Feduccia tout en rendant celles-ci compatibles avec l’origine dinosaurienne des oiseaux.

L’hypothèse de Wagner et Gauthier était celle d’une «Transformation Homéotique» (en anglais «Homeotic Shift») s’étant produite au cours de l’évolution de dinosaures théropodes (voir le schéma-ci-dessous).

 
 
Selon l’hypothèse de la «Transformation Homéotique» de Wagner et Gauthier, les dinosaures théropodes auraient bel et bien conservé les doigts 1, 2 et 3. Mais une mutation génétique aurait déplacé «l’emplacement» où les doigts se développent si bien que les doigts des dinosaures théropodes Cœlurosauriens se développeraient respectivement sur les «emplacements» des doigts 2, 3 et 4. Un particularité dont auraient hérité les oiseaux actuels et expliquant les observation d’Alan Feduccia, sans que cela ne remette donc en question l’origine dinosaurienne des oiseaux.

Cette hypothèse stipule en effet que les dinosaures théropodes ont retenus à leurs membres antérieurs les doigts 1, 2 et 3 et donc perdus les doigts 4 et 5 au cours de leur évolution. Cependant une ou plusieurs mutations auraient provoqué cette fameuse «Transformation Homéotique» en déplaçant «l’emplacement» où se développent les doigts. Ainsi le doigt numéro 1 se serait développé à la place du doigt numéro 2, le 2 à la place du 3 et le 3 à place du 4. Cette hypothèse expliquant donc les observations embryologiques d’Alan Feduccia tout en restant compatible avec l’origine dinosaurienne des oiseaux.

Mais bien évidemment il restait encore à confirmer cette hypothèse. Hypothèse qui n’avait par ailleurs pas convaincu Alan Feduccia qui ne voyait en elle qu’une explication ad hoc sensée permettre d’ignorer les données embarrassantes qu’il avait mis à jour via ses observations sur les embryons d’oiseaux.

Mais au cours des années 2000 les biologistes spécialistes du développement Alexander O. Vargas, John F. Fallon et d’autres, allèrent par une série d’études expérimentales et empiriques, confirmer de manière flagrante l’hypothèse de la «Transformation Homéotique» proposée par Wagner et Gauthier.

Une des études en question portait sur les gènes impliqués dans le développement des doigts des membres antérieurs chez des mammifères, «reptiles» et oiseaux. C’est en étudiant le développement des doigts des membres antérieurs, des souris et des alligators qu'Alexander O. Vargas et ses collègues ont constaté que le gène nommé HoxD-11 était actif tardivement dans le développement de tous les doigts exceptés le doigt numéro 1. Or voilà en étudiant alors l'expression de ce même gène lors du développement des doigts des oiseaux Vargas et ses collègues, ont constaté oh surprise, que ce même gène HoxD-11 est également inactif lors du développement de premier doigt des oiseaux. Pourtant, comme l’avait relevé Alan Feduccia, le premier doigt des oiseaux se développe dans un «emplacement» correspondant au doigt numéro 2. Mais donc même si ce doigt se développe à un «emplacements» correspondant au doigt numéro 2, son développement correspond génétiquement à celui du doigt numéro 1. Car si les oiseaux ne possédaient pas de doigt numéro 1 (comme l’avait soutenu Alan Feduccia) alors tous les doigts des oiseaux devraient voir le gène HoxD-11 être actif tardivement dans le développement des doigts en question.

Les études d’Alexander O. Vargas et de ses collègues confirmant ainsi que les doigts des oiseaux sont les doigts 1, 2 et 3 tout comme chez les dinosaures théropodes Cœlurosauriens.

Mais suite à une découverte récente certains interprétèrent différemment les résultats obtenues par Vargas et ses collègues. En 2009 des paléontologues décrivirent un tout nouveau dinosaure théropodes nommé Limusaurus inextricabilis. Selon ses découvreurs Limusaurus inextricabilis pourrait éclairer l'évolution des doigts des membres antérieurs des dinosaures théropodes et donc par extension ceux des oiseaux actuels.

En effet Limusaurus inextricabilis a la particularité d’être un dinosaure théropode ancien, appartenant à une famille de dinosaure théropodes «primitifs» nommé Ceratosauria. En tant que membre de cette famille de dinosaure théropodes «primitifs», Limusaurus inextricabilis conserve encore quatre doigts à ses membres antérieurs. Mais les paléontologues ont également pu constaté que le doigt numéro 1 de Limusaurus est atrophié. Ces observation ont conduit les découvreurs de Limusaurus, à penser que les dinosaures théropodes plus ultérieurs comme les Cœlurosauriens n’ont en réalité pas conservé les doigts 1, 2 et 3 mais bel et bien les doigts 2, 3 et 4. Les découvreurs de Limusaurus pensant donc que les oiseaux ont bel et bien conservé les doigts 2, 3 et 4 mais sans que cela ne remette en cause l’origine dinosaurienne des oiseaux, puisque les Cœlurosauriens auraient eux aussi conservé les doigts 2, 3 et 4.

Mais il demeure deux problèmes majeurs à ce scénario.

Premièrement l’anatomie des doigts des Cœlurosauriens indique qu’il possèdaient bel et bien les doigts numéro 1, 2 et 3, l’anatomie de leur premier doigt étant celui d’un doigt numéro 1.

Deuxièmement Alexander O. Vargas a montré de part ces observations sur les gènes du développement que les oiseaux ont bel et bien les doigts numéro 1, 2 et 3.

Aussi certaines personnes comme par exemple Carl Zimmer ont proposé un nouveau scénario en matière d’évolution des doigts des dinosaures théropodes et par extension des oiseaux.

Selon ce scénario les dinosaures théropodes auraient perdus au cours de leur évolution les doigts numéro 1 et 5 et conservé les doigts 2, 3 et 4. Mais ensuite une mutation génétique aurait rendu inactif le gène HoxD-11 durant le développement du doigt numéro 2 lui donnant l’apparence d’un doigt numéro 1. Ainsi ce scénario expliquerait également parfaitement les observations d’Alan Feduccia et celle d’Alexandre O.Vargas ainsi que l’apparence des doigts des divers fossiles de dinosaures Cœlurosauriens.

Cependant Alexander O. Vargas et ses collègues n’adhèrent pas à ce second scénario et continuent d’affirmer que les doigts des Cœlurosauriens sont bel et bien les doigts 1, 2 et 3 en notant le fait que Limusaurus inextricabilis appartiendrait à une lignée de dinosaures ayant évolué à part et donc trop éloigné de la lignée de dinosaures théropodes ayant donné naissance aux oiseaux pour nous renseigner sur l’évolution des doigts de ces derniers (voir schéma ci-dessous).

Pour Alexander Vargas et ses collègues, Limusaurus inextricabilis est une «exception» dans l’évolution des dinosaures théropodes, car si Limusaurus inextricabilis a bel et bien vu son doigt numéro 1 considérablement se réduire, cela n’aurait pas été le cas chez la plupart des dinosaures théropodes qui au contraire auraient conservé un doigt numéro 1 de bonne taille et perdu le doigt numéro 4. Alexander O. Vargas soutenant que les dinosaures théropodes ancêtres des oiseaux ont donc bel et bien conservé les doigts 1, 2 et 3 et que donc Limusaurus inextricabilis ne nous renseigne pas réellement sur l’identité réelle des doigts des oiseaux actuels.

Ainsi aujourd’hui le scénario exact sur l’évolution des doigts des oiseaux ne semble pas définitivement tranché. Mais une chose de primordiale ressort de l’évolution du débat en question, à savoir que les observations d’Alan Feduccia ne constituent plus aujourd’hui une remise en question pertinente de l’origine dinosaurienne des oiseaux.

En effet les études sur les gènes du développement effectuées par Alexander O. Vargas et ses collègues ont montré que si les doigts des oiseaux se développent bien selon les «emplacements» correspondant aux doigts 2, 3 et 4, les gènes présidents au développement de ces mêmes doigts, nous racontent une histoire différente concernant l’identité de ceux-ci si bien qu’on ne peut plus aujourd’hui affirmer que les observations d’Alan Feduccia détruisent définitivement l’homologie des doigts des oiseaux avec ceux des dinosaures théropodes. Au contraire les observations de Vargas couplées au registre fossile soutiennent de manière nette l’homologie en question. Aussi quelque soit le scénario exacte de l’évolution des doigts des membres antérieurs des dinosaures théropodes et donc des oiseaux, il n’en demeure pas moins que les doigts des dinosaures théropodes sont bel et bien homologues aux doigts des oiseaux.

Références:


Günter P. Wagner and Jacques A. Gauthier (1999), 1,2,3 = 2,3,4: A solution to the problem of the homology of the digits in the avian hand, Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS)
 
Alan Feduccia (1999), 1,2,3 = 2,3,4: Accommodating the cladogram, Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS)

Alexander O. Vargas and John Fallon (2005), Birds Have Dinosaur Wings: The Molecular Evidence, Journal of Experimental Zoology

Alexander O. Vargas and John Fallon (2005), The digits of the wing of birds are 1, 2, and 3. a review, Journal of Experimental Zoology


Xing Xu and al (2009), A Jurassic ceratosaur from China helps clarify avian digital homologies, Nature

Alexander O. Varga, Günter P. Wagner and Jacques A. Gauthier (2009), Limusaurus and bird digit identity, Nature

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