lundi 16 mai 2011

L'origine évolutive d'étranges insectes

La nature est pleine de surprises, il suffit parfois juste de prendre le temps de l'observer attentivement pour s'en émerveiller. Par exemple combien de personnes ont entendu parler ou même vu cette étrange catégorie d'insectes nommés les Membracides?

Pas énormément de monde me semble-t-il!

Et c'est bien dommage car les Membracides constituent une des famille d'insectes des plus étranges quoi soit, peut-être même la famille d'insectes la plus étrange qui existe. Pour s'en convaincre je vous laisse admirer les photos de trois espèces représentantes de la famille des Membracides.


Voici trois représentants de la famille des Membracides, les excroissances que l’on nomme «casques» qu’abordent ces créatures, parlent d’elles-mêmes. En haut Heteronotus maculatus, au milieu Cladonota benitezi, en bas Bocydium globulare.

Impressionnant n'est-il pas?

Comme vous pouvez le voir de manière pour le moins flagrante, ces insectes sont porteurs d'étranges excroissances que l'on nomme des «casques». Ces sont ces «casques» qui font que l'on a réellement l'impression que ces insectes sont le fruit de l'imagination d'un auteur de science-fiction alcoolique! Et pourtant ces insectes sont tout ce qu'il y a de plus réel!

Ces «casques» peuvent avoir des fonctions potentielles diverses allant de celle d’un outil de camouflage ou au contraire peuvent éventuellement faire office de «tape à l’œil» imposant en vue de décourager d’éventuels prédateurs.

Mais si l’on peut donc supputer des diverses utilités potentielles sur le plan sélectif, de ces excroissances hors du commun, pourquoi donc les Membracides sont-ils la seule famille d’insectes à avoir développé des structures aussi excentriques? En effet les Membracides forment un groupe monophylétique à l’instar par exemple des primates. Cela signifie que tous les Membracides partagent un ancêtre commun plus récent qu’avec n’importe quel autre insecte. Ainsi donc il semble fort possible que les Membracides doivent leurs étranges structures à leur ancêtre commun respectif!

Mais pour répondre à cette question cruciale encore fallait-il savoir ce que sont concrètement les «casques» des Membracides. Pendant longtemps les biologistes ont cru que le «casque» étrange des insectes, représentait une excroissance de la cuticule à l'instar des cornes qui ornent certaines espèces de Scarabées.

Pourtant deux chercheurs français du CNRS nommés Nicolas Gompel et Benjamin Prud’homme constatèrent quelque chose d’étrange en examinant de près le «casque» du Membracide nommé Publilia modesta, ils remarquèrent en effet que le dit «casque» en question était articulé au thorax de l’animal comme le sont les ailes d’insectes en général. Ainsi donc le «casque» des Membracides seraient autre chose que de simples excroissances de la culticule! Les deux chercheurs ont donc émis l’hypothèse selon laquelle les «casques» des Membracides seraient en quelque sorte, «homologues» à des ailes d’insectes. Pour ce faire les chercheurs analysèrent les gènes impliqués dans le développement des «casques» en question et découvrirent que deux gènes impliqués dans le développement des ailes le sont également dans les étranges excroissances des Membracides.

Il demeure cependant un dernier problème, les «casques» des Membracides ne se développent pas aux mêmes endroits que les ailes des insectes.
En effet chez les insectes on trouve au niveau du thorax trois segments, le segment antérieur (le plus près de la tête) T1, suivit des segments T2 et T3. Chez les insectes les ailes sont attachées sur le segment T2 voir éventuellement T3, mais jamais sur le segment T1.
Schéma simplifié montrant les segments T1, T2 et T2 chez un insecte. Si les segments T2 et T3 peuvent être porteurs d’ailes il n’existe aucune insecte actuel chez qui le segment T1 est lui aussi pourvu d’ailes.

Jamais? En fait plus aujourd’hui! Car les plus anciens insectes datant du Paléozoïque vieux de plus de 250 millions d’années possédaient pour certains bel et bien d’une paire d’ailes au niveau du segment T1!

Les fossiles de très anciens insectes tel que cet Éphémère du Paléozoïque (de moins 543 à moins 250 millions d'années), nous montrent que ceux-ci étaient pour certains porteurs d’ailes sur le segment T1.

Mais donc depuis les insectes avaient totalement perdu cette paire d’ailes et cela en raison de l’expression d’un gène Hox particulier, gène Hox qui a en quelque sorte inhiber dans le segment T1, l’activité des gènes impliqués dans le développement des ailes, si bien que depuis des centaines de millions d’années les insectes se retrouvent dépourvus d’ailes sur le segment en question.

Mais donc il y a environ 40 millions d’années, date approximative où serait apparu les Membracide, cette contrainte imposée par le gène Hox en question, n’aurait plus fait effet et aurait permis à cette famille d’insectes naissante, de voir les gènes impliqués dans le développement des ailes, s’exprimer librement sur le segment T1. Chose surprenante, le gène Hox qui réprime habituellement le développement d’ailes sur le segment T1, est toujours fonctionnel. Nicolas Gompel précise que ce n’est donc pas au niveau du gène Hox en question qu’il faut chercher la cause du développement des «casques» des Membracides.

«Nous sommes confrontés à un paradoxe : un gène Hox qui est capable de réprimer la formation des ailes mais qui ne la réprime pas. Nous pensons que les changements évolutifs touchent plutôt le programme génétique de formation des ailes ; ces gènes seraient devenus insensibles à la répression par le gène Hox.»
Nicolas Gompel

Ainsi donc les gènes impliqués dans le développement des ailes auraient muté de manière à devenir insensibles au gène Hox qui les réprime habituellement. Ces changements génétiques ayant permis au segment T1 des Membracides de développer à nouveau des ailes, enfin des ailes tellement modifiées qu’elles ne sont plus vraiment voir même plus du tout des ailes.
Arbres phylogénétique simplifié des insectes retraçant les transitions concernant l’expression des gènes au niveau du Segment T1 (en rouge). Les Étapes 1 et 2 illustrant la complexification de l'expression des gènes sur les segments T1, T2 et T3 (notez le gène «scr» sur le segment T1 et impliqué dans le développement des «casques» des actuels Membracides). L'Étape 3 représente le moment où le développement des ailes sur le segment T1 a été bloqué par un gène Hox particulier. L'Étape 4 représente le déblocage développemental du segment T1 chez les Membracides avec à la clef l'apparition et l'évolution des «casques» de ces derniers, «casques» qui se développent donc comme des ailes et s'articulent même de manière similaires à ces dernières.

Ainsi Nicolas Gompel et Benjamin Prud’homme ont montré comment la réactivation d’un «potentiel développemental» mis sous silence depuis longtemps, peut mener à des innovations des plus surprenantes sans que cela ne nécessite donc forcément d’importantes modifications génétiques. Les travaux de ces deux chercheurs français et de leur équipe nous montrant également que même si la sélection naturelle demeure un important facteur évolutif, les «potentiels développementaux» et plus généralement ce que certains chercheurs nomment l’évolvabilité ainsi que les aléas contingents des mutations, demeurent des paramètres extrêmement important en matière d’évolution.

Mais donc cette équipe de chercheurs français est parvenue à résoudre le mystère de ces excroissances surréalistes en montrant que celles-ci ne sont pas des excroissances de la cuticule mais qu'elles sont, en quelque sorte, des ailes modifiées!

Conclusion

Ces excroissances étranges sont bel et bien, en quelque sorte, des ailes. Enfin pas des ailes à proprement parler mais plutôt des instruments d'intimidation ou de camouflage à destination des prédateurs divers et variés.

Pour comprendre ce dernier point résumons la chose. Les insectes actuelles ne disposent que de deux paires d'ailes sur les segments T2 et T3, le segment le plus antérieur à savoir le segment T1 ne dispose plus d'ailes depuis longtemps seuls certains insectes disparus depuis fort longtemps possédaient des ailes sur le segment T1. Mais depuis l'expression des gènes Hox avait inhibée la formation des ailes sur ce segment T1. Segment T1 demeurant donc dépourvue d'ailes. Cependant chez les Membracides quelque chose d'étrange s'est produit, le gène Hox bloquant la formation des ailes est resté actif, cependant un changement génétique est parvenu à contourner l'inhibition imposée par le gène Hox permettant le développement des ailes modifiés en question sur le segment T1. L'étude de l'équipe française démontrant que les gènes Hox ne sont pas «tout puissants» et peuvent être contourné pour le développement de nouvelles structures y compris des structures aussi importantes que celles des Membracides.

Références:

Benjamin Prud’homme and al (2011), Body plan innovation in treehoppers through the evolution of an extra wing-like appendage, Nature

Interview de Benjamin Prud’homme et Nicolas Gompel (2011), Du jamais vu : des insectes à trois paires d’ailes!, Science Gouvernement

Jerry Coyne and Matthew Cobb (2010), The surreal treehoppers, Why Evolution Is True

Jerry Coyne (2011), The strange origin of the treehopper “helmet”, Why Evolution Is True

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Mise à jour corrective (05.12.2011)


Une connaissance virtuelle avisée en matière de biologie de l'évolution et administrateur du site rationalisme.org (que j'avais oublié d'ajouter à ma liste des blogs et sites préférés), m'a contacté via un commentaire pour me signaler une erreur de ma part concernant mon usage de l'image d'éphémère du Paléozoïque.

Aussi je poste ci-dessous la correction que celui-ci a eu la gentillesse de me communiquer.


2 petites erreurs se sont néanmoins glissées dans tes commentaires de cette page, cher Hans, que tu peux corriger si tu en as envie. Ou mieux encore remplacer l'image proposée ici, et adapter le texte en conséquence. 


Les fossiles de très anciens insectes tel que cet Éphémère du Paléozoïque (de moins 543 à moins 250 millions d'années), nous montrent que ceux-ci étaient pour certains porteurs d’ailes sur le segment T1.

Si tu réexamines l'image que tu proposes toi, cette nymphe n'a justement pas d'ailes (ni même de duvets branchiaux très évidents) sur le segment thoracique T1.. (celui d'où partent les 1res pattes)
Cette image représente en fait une nymphe d'éphémère fossile, et non pas un adulte. Elle est plus utile pour expliquer l'évolution des ailes des insectes à partir des paires de ramifications branchiales. Nymphe d'éphémère moderne, pour comparaison : http://islandwood.org/kids/stream_healt ... _nymph.jpg

En fait, l'image à considérer serait plutôt la même mais en entier, ici : 




qui quant à elle représente en A, le schéma d'une larve primitive à 3 paires d'ailes thoraciques et sa correspondance moderne en biface. Le dessin B à droite étant surtout utile pour voir les 2 ailes (ou excroissances) thoraciques, et les abdominales très similaires. On peut aussi noter les abdominales en détail sur une larve moderne, ici : http://www.flickr.com/photos/selago/4827070091 ou encore ici : http://www.troutnut.com/im_regspec/pict ... _large.jpg

Si tu veux mettre une bonne image d'insecte fossile à 3 paires d'ailes thoraciques assez flagrantes, il vaudrait mieux chercher une photo ou schéma de Palaeodictyoptère, tous fossiles bien évidemment, qui eux avaient bien une sorte d'assez claire 3me paire d'ailes sur le segment T1, mais qui n'aidaient probablement pas trop pour le vol et sont appelées autrement. Comme ici : 





3 commentaires:

  1. Hello Hans.
    Des commentaires sur cette page ici :
    http://www.rationalisme.org/forum_atheisme/viewtopic.php?f=88&t=2826

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  2. C'est tout de même fou à quel point nos blogs respectifs se ressemblent et que ce soit juste maintenant que je découvre le votre. Voici mon angle d'attaque sur les travaux de Gompel et Prud'homme:
    http://ssaft.com/Blog/dotclear/index.php?post/2011/09/26/Le-chapelier-fou-des-Membracides
    Et mon hommage au talent de photographe de Gompel:
    http://ssaft.com/Blog/dotclear/index.php?post/2011/09/28/[Strange-and-Funky-Animal-Photographer]-Nicolas-Gompel

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  3. Merci pour ce partage votre article sur les membracides étant d'avantage élaboré que le mien et en même temps très limpide.

    Je confirme en effet que nos blog se ressemblent, cela fait plaisir que de prendre connaissance d'un autre internaute passionné des sciences naturelles.

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